Éditorial : Les occasions manquées

Dessin : Métyvié.

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation André Lamontagne et la députée de Côte-du-Sud Marie-Eve Proulx peuvent continuer de rejeter la faute sur le dos des élus de Kamouraska-L’Islet, arrivés trop tard — c’est vrai — dans le dossier de la médecine vétérinaire maintenant confirmée à Rimouski. La vérité est que les deux élus de la Coalition Avenir Québec (CAQ) ont manqué à leurs devoirs : le premier à défendre son « vaisseau amiral » de l’enseignement agricole qu’est l’ITAQ, la seconde à bien représenter les intérêts de sa circonscription de Côte-du-Sud.

Retour dans le temps. Nous sommes en janvier 2020. Marie-Eve Proulx est toujours à ce moment ministre déléguée au Développement économique régional et ministre responsable du Bas-Saint-Laurent. Dans les bureaux de son collègue André Lamontagne, on s’abreuve depuis son élection de toute la littérature pondue au fil du temps au sujet de l’ITA, dans l’objectif de déposer un projet de loi qui changera son statut de façon pérenne et durable.

Au même moment, on porte à l’attention du ministre le projet de Faculté de médecine vétérinaire décentralisée de l’Université de Montréal (UdeM) vers l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), un projet qui doit régler une problématique qu’on lui a déjà soumise : la pénurie de médecins vétérinaires, principalement pour les gros animaux. Le projet en est à ses premiers balbutiements, mais jamais le ministre semble allumer qu’il pourrait être intéressant de songer à La Pocatière avant Rimouski comme lieu de formation, question de reproduire le même modèle en cours à Saint-Hyacinthe, alors qu’il prévoit pourtant dans son futur projet de loi donner toute la latitude nécessaire à l’ITA qui deviendra l’ITAQ de dispenser de l’enseignement universitaire.

3 Septembre 2020. André Lamontagne, Marie-Eve Proulx et la ministre de l’Enseignement supérieur Danielle McCann sont à Rimouski et annoncent la somme de 630 000 $ pour une étude d’opportunités devant évaluer la décentralisation du programme de médecine vétérinaire de l’UdeM vers l’UQAR. Nous sommes à deux mois et demi du dépôt du projet de loi 77 qui constituera l’ITAQ, la dotera d’un conseil d’administration et lui donnera toute l’autonomie souhaitée en matière d’enseignement pour bien assurer son avenir. Marie-Eve Proulx et André Lamontagne font des sourires à la caméra, la première sans jamais mobiliser ses élus locaux en coulisse afin d’obtenir cette formation porteuse et complémentaire à ce qui est déjà offert à La Pocatière dans son propre comté et la région qu’elle représente, le second sans penser suggérer d’attacher le futur pavillon qu’il faudra construire à la nouvelle institution qu’il s’apprête à créer avec le dépôt de son projet de loi le 26 novembre.

Voilà la vérité toute crue : une succession d’opportunités manquées par deux députés de la CAQ censés, dans le cas de Marie-Eve Proulx, avoir le développement de sa région à cœur, et pour André Lamontagne, offrir toutes les possibilités à « son école », l’ITAQ, qu’il tenait à garder sous l’égide du MAPAQ, et de renouer en partie avec de l’enseignement universitaire à La Pocatière comme jadis à l’époque de la Faculté d’agronomie. Par négligence, indifférence ou impossibilité — qu’ils le reconnaissent ou le démontrent publiquement ! —, ils ont tous les deux regardé le train passer sans jamais rien contre-proposer, un train qui ne demandait qu’à s’accrocher au « vaisseau amiral » que le ministre Lamontagne n’a cessé de vanter, un manque de vision indigne de leurs fonctions d’élus.

Aujourd’hui

Maintenant, à moins d’un mea culpa gouvernemental dans ce dossier — ce qui serait surprenant —, la médecine vétérinaire se déploiera dans un pavillon tout neuf qui sera construit à Rimouski à 100 M$ selon Radio-Canada, une ville étudiante comme La Pocatière, certes, mais davantage réputée pour son expertise dans le domaine des sciences de la mer, alors que le souhait est de former au moins 50 % de vétérinaires pour gros animaux au sein de la première cohorte attendue pour 2024. Et pour expliquer ce choix, on évoque des normes extrêmement élevées de la part de l’American Veterinary Medical Association pour justifier l’implantation de ce pavillon à Rimouski plutôt qu’à La Pocatière, sans jamais même les énumérer, alors qu’à 100 M$, l’UQAR ne répond de toute évidence pas plus à ces règles rigoureuses que l’ITAQ.

Pire, on en profite même pour faire de la petite politique condescendante en reprochant aux élus de Kamouraska-L’Islet de s’être invités beaucoup trop tard dans le débat, alors qu’eux, les premiers informés du dossier, n’ont daigné se lever pour suggérer La Pocatière ou mobiliser les forces vives du milieu en ce sens. Devant le manque d’arguments, le réflexe humain demeure souvent le même : rejeter la faute sur les autres plutôt que d’assumer ses propres erreurs.

À cela s’ajoute un André Lamontagne qui a promis par lettre de répondre aux questions des élus de Kamouraska-L’Islet sur la décentralisation de ce programme avec sa collègue Danielle McCaan, en marge de l’annonce à Rimouski. Or, malgré un passage obligé des deux limousines par La Pocatière pour se rendre à Rimouski, le 24 mai dernier, aucune des deux n’a jugé bon arrêter en chemin sur l’aller ou le retour.

Quant à Marie-Eve Proulx, qui désire maintenant rallier autour de son comité sur l’avenir de l’éducation et de la recherche agricole et animale — pas une mauvaise idée —, elle s’y prend bien mal en pointant du doigt les élus dans sa « lettre de convocation » dont Le Placoteux a obtenu copie, en leur rappelant qu’ils réagissent souvent à minuit moins une dans les dossiers chauds de la médecine vétérinaire ou même de la direction générale de l’ITAQ l’an dernier. Même si elle a le bénéfice du doute d’agir aujourd’hui avec les meilleures intentions pour mieux préparer l’avenir, il n’en demeure pas moins que la moindre des choses aurait été de reconnaître ses torts dans ces deux dossiers, plutôt que faire porter l’odieux à ceux qu’elle cherche aujourd’hui à rassembler. Faute avouée n’est-elle pas à moitié pardonnée, dit le dicton ?

Bref, le dénouement mesquin de toute cette mascarade n’a d’égal que l’arrogance de ce gouvernement tout-puissant qui caracole au sommet des intentions de vote au Québec, sans véritable opposition. Les électeurs s’en rappelleront-ils le temps venu ? Malheureusement, la mémoire étant une faculté qui oublie, il serait surprenant qu’elle perdure aussi longtemps qu’une autre faculté, celle de médecine vétérinaire, qui jusqu’à preuve du contraire conserve encore à ce jour cette impression de coup de pouce à l’élection de la candidate Maïté Blanchette Vézina dans Rimouski, un comté que la CAQ souhaite bien s’emparer à la prochaine élection.