Geneviève Rioux a survécu à l’horreur. En avril 2018, un homme cagoulé est entré dans son appartement sherbrookois, tentant de l’agresser sexuellement et de la tuer, avant de la laisser pour morte dans son sang, après lui avoir infligé 18 coups de couteau.
Geneviève Rioux est une victime, une survivante, mais surtout beaucoup d’autres choses. « J’ai étudié ici, j’ai joué pour les Gauloises, je suis une personne maladroite. Je suis comme vous », a-t-elle dit d’entrée de jeu devant le public venu l’écouter au Mistook du Cégep de La Pocatière.
Celle qui a grandi à La Pocatière, aujourd’hui doctorante en psychologie, se raconte depuis peu. D’abord à l’écrit, maintenant en plus lors de conférences comme celle donnée le 5 décembre dernier dans le cadre des Journées d’action contre la violence faite aux femmes.
Franche, directe et parfois pleine d’humour, Geneviève Rioux ne met pas de gants blancs pour raconter ce qu’elle a vécu. Les détails de son agression sont durs et directs, et elle ne les esquive pas. Sa démarche est une façon pour elle de se faire justice — l’enquête n’ayant pas permis de porter des accusations contre son présumé agresseur —, tout en étant thérapeutique.
« La justice, même lorsqu’elle est satisfaisante, elle n’est pas réparatrice non plus. Dans mon histoire, ce que j’ai retenu, c’est que je suis la seule maître de mon témoignage. Personne ne peut me dire que je ne suis pas crédible comme victime. On ne peut pas choisir ce qui nous arrive, mais on peut choisir le regard qu’on pose sur les événements », explique-t-elle, sereinement.
Chemin tortueux
Le chemin de la survie emprunté par Geneviève Rioux est parsemé d’imperfections : son détachement face aux événements au moment de son hospitalisation ; ses peurs et ses désirs irrationnels qui l’ont poussée à déménager dans le « pire ghetto » de Sherbrooke ; l’hypervigilance qui l’habite la nuit lorsqu’elle entend le plancher grincer, et qui l’a amenée à s’acheter un chat pour lui attribuer la responsabilité de ces bruits. « Aujourd’hui, je sais que se remettre d’un drame comme celui-là n’est pas un processus unidirectionnel. »
Sur cette route, il y a aussi le soutien des proches, la famille et les amis, qu’elle qualifie de victimes collatérales. Elle fait d’ailleurs souvent référence à sa mère, qui a été victime d’une agression similaire 20 ans auparavant, alors que Geneviève et sa sœur, toutes jeunes, se trouvaient dans le même domicile. Cette histoire peu anodine, qui a marqué sa famille, a conditionné toute la vie de Geneviève Rioux, qui avant d’être elle-même agressée consultait une psychologue depuis quelques années, relativement à ces événements. « Mon agresseur connaissait mon histoire », ajoute-t-elle plus tard, avec une certitude inébranlable.
L’écriture
Le véritable exutoire de Geneviève Rioux est passé par l’écriture. D’abord pour elle et ses proches, elle a raconté son récit, chapitre par chapitre, sans intention d’être publiée. Quand elle a su qu’aucune accusation ne serait déposée contre son présumé agresseur, elle a contacté l’auteur et poète David Goudreault, qu’elle avait rencontré quelques semaines auparavant dans un salon du livre. Il a proposé de lire son histoire, car Geneviève voulait à ce moment-là publier, se faire justice. « Il y avait trop d’enjeux préjudiciables, je n’ai pas pu la sortir. »
Sous les recommandations du poète, Geneviève s’est réfugiée dans les métaphores de la poésie, ce qui lui a permis de publier le recueil Survivaces en mai 2022. Dans les premiers vers, elle y aborde son agression de façon crue, en parlant au « je ». Plus loin, elle revient sur l’agression vécue par sa mère en 1999, en reprenant au « nous » des vers qui témoignent de la similarité entre les deux événements. Le recueil se conclut en parlant au grand « nous », c’est-à-dire toutes les femmes. « L’écriture, c’est une forme de justice alternative. Pour moi, ça fait partie de la réparation. Mais le rétablissement, c’est quelque chose de beaucoup plus long, quelque chose qui dure toute une vie. »