Rattachons-nous

Photo : Josue Escoto (Unsplash.com)

Prendre une distance. C’est bon. Bon quand on est dans une relation toxique par exemple. Bon quand il faut s’éloigner un peu pour mieux revenir. Bon pour relativiser. Ça fait un an et plus qu’on vit dans le détachement. Si vous êtes comme moi, ça peut vous avoir fait du bien, cette distance. Du moins, pendant un certain temps.

Le problème avec le détachement et le confinement, c’est que viendra le jour où on aura à se rattacher. Et on lui voit le bout du nez à ce jour! Oh! Mais certainement qu’on ne s’en plaindra pas, je comprends! Les sacrifices de tous ont été assez grands et ont assez duré. Trop de soldats sont allés au Front pour les abandonner !

Mais… voici ce que j’observe à l’intérieur de moi  depuis que je me rattache, me reconnecte, me déconfine. Appelez ça comme vous voulez : une première poignée de main qui génère en moi un frisson d’émotions fortes, mélange de mélancolie et de bonheur; mon fils de 7 ans qui contourne volontairement un inconnu (soucis de respect du 2 mètres) suscite davantage en moi un sentiment d’incohérence et de tristesse plutôt que de la fierté; mon envie de pleurer quand je contacte une amie que je n’ai pas vue depuis octobre 2019; une boule de bonheur, à imaginer mon premier câlin à un proche vivant une période difficile…

J’avais pourtant l’impression de me sentir bien loin du bouleversement social depuis un an et quelques. Je me rends compte que c’était faux. Je m’ennuie. Terriblement. Ce n’est pas de la solitude dont je souffre. C’est de l’isolement. Véritable décalage entre ma vie et la réalité.

Je ne m’en rendais pas compte avant, car on s’est créé notre train de vie. Notre train-train de confiné. Notre bulle. Mais je constate que ça laisse plus de dommages que prévu. Et là, je parle pour moi, mais je pense à nous tous. Je pense aux ados aussi.

L’adolescence, ce passage éclair dans une vie, qui peut être long par bouts. Oh, mais… ils vont s’en remettre c’est sûr! Ils sont faits fort et ils s’adaptent, c’est fou! Je les admire. Ils vont sûrement s’en remettre, tout comme moi. Ils vivront aussi plusieurs mélanges d’émotions, lors du retour à leurs activités, lors de leurs premiers matchs en équipe, à leurs partys, etc. Comme moi, comme nous, comme cette poignée de main et cette reconnexion fraternelle. Nos émotions vécues en différé…

Mais si comme adulte, je suis capable de mettre des mots sur ces émotions qui m’habitent, à eux, (et à d’autres), il faudra prendre le temps de les expliquer. De les aider à mettre les mots sur les leurs. Et de les comprendre. Ils auront besoin de nous, leurs adultes de confiance. Leurs figures d’attachement.

S’il a été important d’être présents les uns pour les autres pendant, (sans totalement pouvoir le faire) il sera encore plus important de l’être après. Il ne faudra pas se lâcher. Quand la bulle pétera, faudra se rattacher. Absolument. Pour nous tous et pour tous ceux et celles étant allé à la guerre, il faudra être là après… Rattachons-nous. Maintenant.

Annie Lavoie, Saint-Roch-des-Aulnaies