Dans le sillage de la COP26, à l’heure de l’importance de l’achat local, sommes-nous affectés pas le Syndrome du papier mouchoir ? On utilise, on jette, on en prend un autre, on utilise, on jette, et ça recommence… à l’infini. Où va ce qui est jeté ?
Réjean Lévesque, notre cordonnier à La Pocatière, me raconte qu’une jeune vient lui porter ses bottes à réparer. La fermeture éclair est à changer, le coût : 25 $ pour travail et matériel. Elle choisit de les jeter et de s’acheter d’autres bottes. Le cordonnier lui demande combien elle les a payées? 225 $. Il répare et les mets en vente à 75 $. Les bottes se vendent rapidement. Ce scénario est monnaie courante, me dit-il, malheureusement…
Son père fut cordonnier à Rivière-Ouelle puis à Mont Carmel avant de s’établir à La Pocatière. Vers 1956-58 son père a occupé l’actuelle maison à l’arrière de la cathédrale de La Pocatière, rue Lafontaine. Réjean Lévesque a pris la relève en 1979-80 : Lévesque Chaussures Enr. À cette époque, les bottes de travail étaient en avant-plan et la cordonnerie un complément.
Être cordonnier demande patience, créativité et débrouillardise. « Mon père m’a montré l’importance de faire une belle job » qu’il me répète souvent… « parce que c’est ce que le monde aime ». Les types de réparations sont infinies : les talons, semelles, toiles de gazebo, trampolines, sacs variés, bottes de cuir comme de caoutchouc, même une pompe à eau ! Faut savoir gérer l’imprévu, car la liste des réparations possibles est sans fin.
Ce que Réjean Lévesque préfère de son métier, c’est le contact avec la clientèle. Même si pendant longtemps, ce qu’il détestait le plus c’était : la clientèle difficile. Celle qui pense faire du neuf avec du vieux. La cordonnerie répare, elle ne fait pas de miracle. Si la matière est de piètre qualité, la réparation ne peut pas la transformer. Juste réparer au mieux.
Quoique parfois les réparations ne sont pas loin d’être miraculeuses ; j’ai des chaussures de cuir que je trimbale depuis le milieu des années 80. Je fais remplacer les tapis aux talons et je les utilise parfois. Elles sont indémodables. Je fais réparer le sac pour mon ordinateur, des ceintures… Difficile de saisir pourquoi ce métier de cordonnier n’est pas reconnu essentiel à une récupération judicieuse?
Lorsque Réjean Lévesque a repris le commerce de son père au début des années 80, il y avait quatre cordonniers en activité à La Pocatière. Il y a 20 ans, quelques centaines de cordonniers réparaient nos chaussures au Québec, les trois quarts de cette cohorte sont tombés, il en reste très peu. Faute d’inscription, le programme d’études professionnelles en cordonnerie a été aboli en 2011.
Réjean Lévesque ferme boutique en juillet 2022 puisqu’au début de la pandémie, une opération au cœur exige de lui la sagesse du repos. Son bâtiment est vendu mais « le nouveau propriétaire est ouvert », me dit-il, à la reprise de la cordonnerie dans ce local puisque notre cordonnier a gardé la diversité de son équipement.
Avant ce problème de santé, il a donné deux courtes « formations » à deux jeunes : pas assez payant, trop exigeant pour eux. L’horaire partagé et la diversification pourraient-ils être part de la solution du second souffle de notre cordonnerie ?
Dans la foulée de la COP26 de Glasgow, j’évalue que nous avons à nous impliquer pour le meilleur du futur de tous. C’est un devoir de conscience. J’y réponds en portant à jour cette situation : nous risquons de perdre un métier précieux, une expérience de travail de valeur à partager. Aucune idée si notre communauté s’en fout, refuse de s’impliquer en attendant que le politique corrige le tir ? Dans la solution aux changements climatiques : il n’y a pas que « le politique ». Il faut multiplier les implications citoyennes. Les choix sociaux que nous faisons individuellement : en utilisant ou pas, par exemple, les services d’un cordonnier. Faire réparer ou… bêtement jeter ?
Y aurait-il manière de créer une coopérative qui reprendrait notre cordonnerie ? Qui lui donnerait une seconde vie en diversifiant ce commerce ? Réjean Lévesque affirme que ses gros vendeurs furent : les bottes de travail et d’hiver. N’y aurait-il pas des personnes qui aiment le travail manuel ? Hommes et femmes qui pourraient se partager la formation à acquérir auprès de ce maître artisan, d’ici la fermeture de notre cordonnerie le 1er juillet ? Se partager l’horaire de travail ? Diversifier en utilisant Internet pour, pourquoi pas, vendre de plus : l’usager réparé ? Finissons-en avec le Syndrome du papier mouchoir.
Line Bellavance, La Pocaitère