Place aux lecteurs: À ceux qui sont épris de liberté

Du 26 au 30 mars se déroulait le Forum social mondial 2013, auquel j’ai eu la chance de participer. Après quelques jours passés en Tunisie, c’est avec émotion que je découvre un pays très différent de celui qu’on dépeint dans les médias conventionnels. Non seulement, il n’est pas à feu et à sang, ni sous le joug tout puissant des salafistes.

J’entrevois plutôt un pays en pleine mutation, qui découvre enfin ce que signifie la liberté d’expression. Des femmes qui parlent de leurs droits et des Tunisiens émus d’accueillir le Forum social mondial, quand ils se rappellent qu’il y a quelques années, ils se demandaient si ce serait un jour possible de manifester dans les rues de Tunis, car pendant la dictature de Ben Ali – qu’ils ont réussi collectivement à faire tomber – on ne se hasardait pas à parler de politique. Ou les plus téméraires le faisaient à mot couvert.

Durant mon séjour, j’ai eu la chance de rencontrer de véritables militants de la révolution tunisienne. Des révolutionnaires dans le cœur et dans l’âme, de qui on a tout à apprendre. Des optimistes comme il ne s’en fait plus.

C’est cet optimisme viral, ce courage ambitieux de ne plus se taire qui m’amène écrire ce message aux militants printemps érable québécois. À ceux qui étaient encore dans les rues le 22 mars 2013, physiquement ou en pensées, pour fêter tristement le premier anniversaire du mouvement étudiant qui n’aura duré que quelques minutes. À ceux qui se sentent trahis par le gouvernement Marois, élu avec son carré rouge. À ceux à qui ont dit que le momentum est passé et qu’il est temps de passer à autre chose.

Notre mouvement a beaucoup à apprendre de la révolution tunisienne. Et plus précisément de ceux qui, comme vous, ont été au cœur d’un mouvement, qui se sont laissé emportés par la vague d’espoir de changements, enivrés par les foules rassemblées qui scandent en cœur des messages auxquels on croit plus que tout.

Un moment fort de la révolution tunisienne fut lorsque Nacer Aouini — celui qui a risqué sa vie le soir du 14 janvier en défiant le couvre-feu — est sorti sur l’avenue Bourguiba, pour crier à ses concitoyens de ne plus avoir peur, car Ben Ali est parti. Cet homme épris de liberté que j’ai eu le grand honneur de rencontrer croit que le problème de la révolution, c’est qu’elle donne espoir que tout va changer d’un coup. Cependant, on ne peut pas être révolutionnaire et impatient. Car un révolutionnaire dit-il, se reconnait à son assiduité et à sa présence, jour après jour au cœur des débats. C’est celui qui est au front, encore et toujours. Et ils sont peu nombreux, les vrais révolutionnaires.

Les révoltés, eux, sont impatients. C’est ceux qui se mobilisent ad hoc, pour une cause aujourd’hui et une autre demain, ponctuellement, au gré de leurs mécontentements face au système, attendant le momentum pour se lancer dans l’action.

La révolution est peut-être portée par les révolutionnaires. Mais elle est dynamisée par les révoltés. Les deux se nourrissent et s’inscrivent dans un processus collectif de changement.

Mais la révolution, elle, est patiente, rappelle Aouini. La cassure provoquée par le mécontentement de la masse est un des premiers pas. Elle fait passer la société à une ère nouvelle, portée vers l’avant, une ère qui sera résolument originale et différente. Or, cela implique ensuite un long processus de co-construction; c’est après les soulèvements populaires qu’on entre dans la phase active de la révolution. Celle de l’action directe, de l’incarnation des changements, celle qui est la plus laborieuse, car elle demande patience, assiduité et de continuer à croire en ses rêves.

Le printemps érable n’a certes pas l’ampleur de la révolution tunisienne. Mais les deux mouvements ont de commun qu’ils sont précisément à l’étape où les révoltés sont rentrés chez eux, encore sensibles à la cause certes, mais le momentum étant dissipé, retournent à leurs obligations respectives.

Restent alors les révolutionnaires. Les vrais porteurs de cette phase active de la révolution qui s’entame. Ils se retrouvent à porter à bout de bras une mobilisation qui s’essouffle, mais dont les changements apportés par leur révolte s’installent tranquillement dans la société. Le mouvement de changement ne pouvant pas uniquement être dans la contestation, il s’ancre tranquillement dans l’action. Le défi est précisément ici. Telle une goutte d’eau dans l’océan, il est facile de croire que le résultat de nos actions est minime et que, comme elles agissent souvent de manière indirecte sur les transformations que nous voulons voir dans ce monde, elles sont faites en vain. Mais n’oublions pas que si le souffle se rabat, le champ est libre pour le conservatisme et nos rêves de changement peuvent alors s’envoler.

Alors à tous les révolutionnaires, je vous dis qu’il faut faire tout ce qui est possible pour conserver le pouvoir de vous révolter et de lutter contre la léthargie. C’est là que vous renouvellerez sans cesse votre inspiration, car le vrai pouvoir, c’est bien celui d’être capable de s’indigner et d’agir en conséquence.

Et surtout, n’oublions pas que les printemps arabe et érable ont eu de positif que plusieurs personnes autrefois indifférentes face aux causes sociales ont joint le rang des révoltés. Et que plusieurs révoltés sont devenus des révolutionnaires, avec comme seule arme leur passion, leur indignation et leur conviction profonde qu’un autre monde est nécessaire et qu’avec vous, il est possible.

Marie-Ève Arbour
L’Islet-sur-Mer