Le bar rayé, ce « prince du fleuve », comme certains l’appellent, se porte bien. Une bonne nouvelle en soi, qui n’arrive pas seule, puisque certaines autres espèces associées à ce majestueux poisson argenté et bariolé, en particulier l’éperlan arc-en-ciel, retournent frayer dans des sites autrefois abandonnés. Regard sur un remarquable succès de réinsertion d’une espèce aquatique indigène déclarée « éteinte» il n’y a pas si longtemps.
Il fut un temps où le bar rayé, un poisson aussi combatif que le saumon, dit-on, faisait le bonheur des pêcheurs sportifs depuis Sorel, jusqu’à Kamouraska. Les pêcheurs commerciaux n’étaient pas en reste, puisqu’ils en prenaient bon an, mal an, plusieurs milliers dans leurs filets.
Les plus âgés se souviendront des très courus tournois annuels de pêche au bar, organisés par le Club de chasse et pêche de Montmagny-L’Islet, commandités par des marchands locaux et des compagnies de bière, dans les années 1950.
À ce sujet, l’hebdomadaire Le Progrès de L’Islet (organe du Courrier de Montmagny) publiait un article éloquent, le samedi 31 août 1957. L’on mentionne qu’à l’occasion de la tenue d’un tournoi une messe des pêcheurs avait été célébrée à 6 h du matin, au sous-sol de l’église Saint-Thomas. Le célébrant, l’abbé Maurice Proulx, aussi cinéaste, fera d’ailleurs un film relatant l’engouement pour cette pêche.
Lors de l’arrivée des pêcheurs à « 6 h pm», c’est nul autre que Jean Lesage, alors député de Montmagny-L’Islet, qui prit la parole pour féliciter les participants et remettre les trophées et les prix. Une photographie montre le « quai du large », bondé de monde, mais l’on ne mentionne pas où a eu lieu la remise des prix. L’article fait état que M. Gérald Collin a pris « une belle prise de 9 livres », ce qui donne une idée de la taille de ce poisson.
« Dimanche dernier, lit-on, avait lieu à Montmagny, le grand tournoi de pêche au bar. Le tournoi lui-même a été un succès. Plus de 200 pêcheurs ont participé au concours dans une cinquantaine d’embarcations. Toutefois le bar n’a pas voulu coopérer au succès du tournoi. » Le club poursuivra ce tournoi de pêche annuel au bar pour les ans à venir, mentionne-t-on.
On était loin de se douter qu’il s’agissait là de l’un des derniers tournois de pêche à avoir lieu. Déjà, au début des années 1960, l’on ne prenait plus ce poisson dans la région de Montmagny et les îles et il sera considéré comme disparu, à la fin de cette décennie.

Une pêche au bar, jadis, alors que l’espèce était abondante. Au centre, M. Joseph Lachance, Magnymontois originaire de l’île au canot, bien connu pour ses multiples activités maritimes. (Photo : Fonds Joseph Lachance, Ville de Montmagny)
Disparu
En 1996, le gouvernement du Québec donne officiellement à cette espèce le statut de « population disparue ». Les causes sont multiples mais, dans une étude effectuée en 2001, l’on identifie que le dragage et l’entretien du chenal nord (pointe est de l’île d’Orléans) et la déposition d’autres sédiments de cette activité dans le fleuve, entre autres dans le secteur de l’archipel de l’Isle-aux-Grues, auraient contribué à détériorer les habitats du bar.
Les scientifiques ont constaté que depuis le XIXe siècle, bien que la pêche commerciale et sportive ait été intensive, l’espèce arrivait à se régénérer. « Cette pêche, mentionne-t-on dans le Programme de rétablissement du bar, était caractérisée par des périodes de grande abondance et de forte récolte qui alternaient avec des années de disette, pendant lesquelles la population reconstruisait ses effectifs. »
Toutefois : « L’analyse des données recueillies entre 1944 et 1962 montre une réduction de l’aire de répartition de ce poisson, qui coïncide avec l’agrandissement et les dragages de la traverse nord de l’île d’Orléans. »
On avance que la combinaison « pêche intensive et modification des habitats » a probablement tué le bar rayé.
Les espèces exotiques introduites, comme la tanche ou le gobie à tache noire, qui est abondant dans l’aire occupé par le bar, pourraient être une menace. Mais l’impact n’a pas encore été démontré. Il est ahurissant de constater que depuis 1980, 185 espèces exotiques ont colonisé les Grands Lacs et que plus de 80 se trouvent dans le Saint-Laurent.
De retour
Avec les travaux de rétablissement du bar débutés en 2002, le Comité sur la situation des espèces en péril du Canada (COSEPAC) a récemment revu son statut. Il est maintenant considéré comme « espèce en voie de disparition ».
Avec le succès que remporte sa réintroduction, il se pourrait fort bien que cette attribution change dans quelques années. « On devrait plutôt dire en voie de réapparition », d’avancer, en entrevue, le biologiste Michel Legault, responsable des opérations pour la réintroduction du bar rayé à la Direction de la Faune aquatique du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP).
« Le nombre de bars rayés déversés dans le fleuve de 2002 à 2013 est de 34 millions de larves et de 17 000 juvéniles », d’aussi mentionner M. Legault dans un courriel. Il nous disait également que les quatre équipes y travaillant ont mis à l’eau, en 2014, près de 1 600 jeunes poissons (de plus de 6 cm) et 23 adultes de plus de 30 cm.
D’ailleurs, une mise à l’eau a eu lieu le 9 juin dernier au quai de L’Islet, sous les yeux ébahis de citoyens. Une autre s’est faite dans l’anse du bout de la route de l’église à Saint-Vallier-de-Bellechasse.
« Ces ensemencements se font une fois par année, a-t-il mentionné, et le taux de survie est excellent. » Les gros spécimens sont « des mâles à qui on a donné leur retraite », de dire avec humour le biologiste. Leur taux de reproduction en captivité avait chuté, mais ils continueront de se reproduire dans le fleuve.
Mentionnons que, sauf en Gaspésie, la pêche au bar est interdite. L’on doit remettre à l’eau toute prise accidentelle, avec précaution. Comme c’est le cas pour les pêcheurs commerciaux, qui collaborent au réseau de suivi, les sportifs sont invités à signaler leurs prises à la Direction de la faune aquatique du MFFP.
Dans le Saint-Laurent, un bar peut vivre une vingtaine d’années et atteindre 90 cm de longueur. Cependant, il est déjà arrivé, surtout vers les Maritimes, qu’on en prenne de plus gros.
Les spécimens qui ont été introduits directement et ceux qui se reproduisent en pisciculture, à la station de Baldwin, en Estrie, proviennent de la population indigène de la rivière Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Précisons que depuis quelques années, les biologistes capturent dans leurs filets des bars qui se sont reproduits naturellement dans le fleuve.

Pêche au filet Montmagny
Frayères
En 2010, des concentrations de bars adultes ont été observées au printemps à Montmagny et, l’année suivante, les chercheurs confirmaient qu’une frayère existe bel et bien dans le bassin au pied des chutes de la rivière du Sud. « En 2013, de dire le biologiste, on a pu également confirmer qu’il y avait un site de reproduction dans l’embouchure de la rivière Ouelle. »
Cette année, de nouveaux sites ont été découverts sur la rive sud du fleuve, dans la région de Leclercville et à la pointe ouest de l’île d’Orléans, vis-à-vis de la baie de Beauport. On a aussi trouvé dans le bassin de Montmagny des œufs d’esturgeon jaune et d’éperlan arc-en-ciel.
D’ailleurs, ce petit poisson est, avec l’alose et le poulamon, l’une des proies de prédilection du bar. La présence d’une frayère d’éperlan à Montmagny est une découverte encourageante.
« Il est encore difficile de dire si ça va bien ou pas pour cette espèce, de préciser M. Legault, mais il semble que l’éperlan veuille réutiliser les tributaires qui se déversent du côté sud du Saint-Laurent. Le principal site de reproduction étant la rivière Ouelle. » L’on en trouve aussi dans la rivière Kamouraska et la rivière du Loup. Cela semble signifier que la qualité de l’eau de certains cours d’eau, comme celle du fleuve, s’améliore.
La réintroduction du « prince du fleuve » est, somme toute, une belle réussite scientifique qui laisse présager des résultats encore meilleurs.

