MONTMAGNY – Ce que réalise Jean-Pierre Gagné depuis une quarantaine d’années a quelque chose de titanesque. À 72 ans, il se donne corps et âme à l’entrainement. Et ces mots ne sont pas exagérés. Cet ancien lutteur professionnel, qui a côtoyé les grands du métier, ici, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, en plus d’avoir joué dans un film mémorable, nous a reçus dans son petit gymnase personnel. Son cheminement, hors de l’ordinaire, méritait d’être raconté, nous avait-on dit.
À son retour à Montmagny, en 1981, après sa carrière de lutteur, il achète la maison qu’il habite encore et y aménage un endroit pour s’entrainer, parce que les équipements et les horaires offerts à l’époque ne lui convenaient pas.
Son gymnase c’est aussi un mémorial où affiches, photos, médailles et textes de motivation tapissent une part des murs. Mais, bien qu’il aime se souvenir, Jean-Pierre Gagné ne cesse de se projeter en avant. « Il faut tout le temps visualiser », de dire celui qui est bien conscient d’avoir « fait bien des choses que pas grand monde a faites ».
Au cours des ans, il a aussi enseigné la forme physique. Pas moins de 400 personnes sont passées à son gymnase, dont les Michel Dufour et Alain Côté, des hockeyeurs originaires de Montmagny. Aujourd’hui, une dizaine d’amis continuent de fréquenter les lieux.
Pendu à la barre. Tout un exploit à bientôt 73 ans.
Vieillesse
Pour lui, vieillir n’est pas un problème. « Dans dix ans, je vois que je vais faire ce que je fais là. Dans 20 ans ce sera la même chose. Je n’ai pas peur d’arriver à 90 ans. » Il faut penser jeunesse, selon lui. Et aussi faire « fonctionner l’esprit », dit-il, en parlant de la lecture.
Mais pour garder la forme, cela prend des efforts journaliers et une discipline… de fer. La sienne est « quasiment monastique », comme il s’amuse à le dire. En plus des nombreuses heures d’exercices, il fait du yoga et de la méditation. Il ne prend pas de médicaments.
Exercice : encore et toujours
Avant de faire une impressionnante démonstration, il dit : « Ça fait 25 ans que je me pends après la barre, les pieds en haut la tête en bas », mentionnant également qu’il a fait faire tous les appareils d’entrainement qui se trouvent dans le gymnase. Cet exercice lui permet d’exécuter des étirements, mais aussi de renforcer les abdominaux, « les muscles les plus importants du corps », selon lui, parce qu’ils protègent les organes.
Les routines commencent tôt, à 6 h, et même avant, parfois. Si, d’aventure il fait la grasse matinée, jusqu’à 7 h 30, ce qui est rare, il adapte sa journée en fonction de celle-ci. Sa vie c’est l’exercice. Quatre à cinq heures d’entrainement par jour. Les vacances sont rares. Quand on est ainsi en entrainement intensif, on ne peut pas laisser le corps au repos trop longtemps, au risque de perdre les acquis, fait-il comprendre.
« De toute façon, je me suis promené un peu partout sur la planète », de dire celui qui s’est payé récemment le luxe de quatre jours de vacances en Montérégie, chez son ami Paul Dion, comédien originaire de Montmagny, qui lui aussi s’entraine. C’est d’ailleurs lui qui a fait couler les haltères ronds en fonte de M. Gagné, à la fonderie de Napierville. Ils ressemblent à s’y méprendre à des antiquités.
« La musculation c’est important, mais il ne faut pas oublier le cardio », dit celui qui, en plus, fait du jogging, du ski de fond, de la natation six jours par semaine; 40 longueurs de piscine chaque fois : « Sauf dernièrement. J’en faisais 30, parce que j’allais monter la côte du Domaine du Lac [route 283] ». Il a aussi jadis pratiqué le canot de rivière de compétition avec son ami Bernard Boulet.
Le cyclisme, pour lequel M. Boulet a été un mentor, est une autre activité qu’il pratique depuis au moins 30 ans. Il a roulé quelque 2 500 kilomètres cette année.
D’ailleurs, en ce beau 4 novembre, il a monté pour la 200e fois cette longue côte, le journaliste étant témoin, en compagnie de deux de ses amies du Club VéloMagny. Ensuite, il a continué sa route pour un aller-retour à Notre-Dame-du-Rosaire.
Alimentation
« On tue le bœuf et quand on le mange, il nous tue », dit-il, en faisant référence aux « cochonneries », antibiotiques et autres, qui se trouvent dans la viande. Il surveille son alimentation. « J’ai commencé à bien me nourrir à 40 ans », lance-t-il.
Aussi, sa diète est plutôt frugale. Elle se compose de beaucoup de fruits, noix, riz, quinoa, gruau, légumes, poissons, en particulier la sardine et le saumon et de très peu de viande rouge.
Un verre de vin très occasionnellement. « Un verre de vin, c’est bon pour la santé, mais le deuxième défait le bien que peut faire le premier », laisse-t-il tomber. Un certain Dr Ozz, cardiologue, le Dr Jean-Pierre Després et le docteur en biochimie Richard Béliveau, sont des sources d’inspiration.
Sportif
Il a toujours été un sportif, comme plusieurs membres de sa famille, dont son père Paul-Émile, surnommé « Paddy », parce qu’il était gardien de but. Lui-même a été un bon joueur de hockey. Son père a également excellé au baseball : un frappeur de coups de circuit.
Si bien que, « dans les années 40, les frères Robichaud qui formaient une équipe au complet, sauf un joueur, avaient pris mon père avec eux. Ils lui payaient même le train pour aller jouer à Saint-Jean-Port-Joli, à La Pocatière, ou ailleurs, et lui donnaient 5 $ par partie », de mentionner M. Gagné. Lui, jouera à la balle molle, en ayant en admiration le redoutable lanceur magnymontois Maurice Rousseau.
Aussi, lors de son retour à Montmagny, en 1981, Jean-Pierre Gagné se portera acquéreur d’une brasserie, qui deviendra ensuite un bar, les deux ayant porté le nom de « Chez Paddy », en l’honneur de son père. Il l’opérera avec sa conjointe de l’époque jusqu’en 1998.
Jean-Pierre Gagné devant la petite arène souvenir de ses années de lutteur, dans le hall menant à son gymnase.
La lutte
Adolescent, il admirait déjà les lutteurs à la télé. Les grands de l’époque, comme le champion du monde Pat O’Connor et Lou Thesz, l’inventeur de la clé de bras parfaite, l’impressionnaient.
En 1962 et 1963, comme il ne voulait pas travailler en usine, il part à l’aventure dans l’Ouest canadien avec un de ses amis. « On faisait du pouce. Mais en 63 on a découvert les ‘’freights’’ », dit-il, signifiant qu’ils embarquaient illicitement dans les trains de marchandises pour voyager, économisant ainsi de l’argent.
Lors d’un séjour à Vancouver il assiste à un match de lutte. « J’ai vu arriver Don Léo Jonathan », et là il a eu la piqûre pour vrai.
De fil en aiguille, il travaillera aux États-Unis entre 1965 et 1969 comme « beach boy », à Miami, ce qui lui permit d’apprendre l’anglais.
En 1967, il entre à la réputée école de lutte montréalaise des Loisirs Saint-Jean-Baptiste. « C’est Édouard Carpentier qui m’a envoyé à cette école », mentionne-t-il, fièrement. Et, après avoir été gérant d’hôtel aux États-Unis et quelques combats de lutte au Mexique, sa carrière de lutteur commence vraiment en 1971.
Durant les dix années suivantes, c’est un feu roulant. Il aligne les combats les uns après les autres. La Californie est un port d’attache, mais il combat un peu partout : Tennessee, Oregon, Arizona, l’est des États-Unis, Hawaï, au Canada, mais aussi au Japon, en Corée, en Europe… « J’étais comme un camionneur, toujours sur la route », mentionne-t-il. Il fait beaucoup d’argent. Rien ne coûtait cher à cette époque. « Je faisais le plein de ma Javelin Sport pour 3,25 $ » se souvient-il, amusé.
Il lutte aux côtés ou contre des lutteurs connus. Les Wladek Kowalski, Édouard Carpentier, Maurice Vachon, les frères Leduc, pour ne nommer qu’eux. Un peu fatigué de cette vie de nomade, « stressante et sans sécurité », il revient au Québec, en 1981. Mais auparavant, il aura aussi joué dans un film fort populaire.
La Guerre du feu
En 1980, il incarne un membre de la tribu des Kzamms dans le film la Guerre du feu. Ce film d’aventures franco-canadien se passe aux temps préhistoriques. Il a été réalisé par Jean-Jacques Annaud et est sorti sur les écrans en 1981. Le tournage a été fait en Écosse et au Kenya. Ce film a connu un gros succès mondial.
Volubile sur cette expérience singulière, M. Gagné a, entre autres, raconté l’anecdote des huit éléphants déguisés en mammouths dont deux, excédés, une fois leurs chaînes enlevées, décidèrent de charger les acteurs sur les lieux du tournage en Écosse.
« Je n’avais jamais pensé qu’un éléphant, ça pouvait courir 35 milles à l’heure! », de lancer Jean-Pierre Gagné, qui raconte avoir perdu un ongle d’orteil en sautant une clôture pour échapper aux pachydermes. Finalement, les bêtes enragées sont entrées dans la grande tente de maquillage, cassant tout, mais restant prises au piège.
Le 4 novembre 2014, Jean-Pierre Gagné montait pour la 200e fois la côte du Domaine du Lac, route 283, à Montmagny. Avec lui, Marcelle Guay, 58 ans et Fernande Gaudreau, 71 ans, compagnes de vélo.
Projets
« J’ai toujours des projets », répond-il. « L’an prochain, je veux faire le triathlon à Montmagny, après ça un des plus gros défis cyclistes au Canada : le Vélomag. Mais je vais peut-être attendre de la faire pour fêter mes 75 ans », laisse-t-il entendre.
Il se voit déjà centenaire et, affirme-t-il : « Mon plus gros défi, ça va être de faire à 100 ans, ce qu’un Français a fait : 100 kilomètres à vélo dans un vélodrome. Lui a gardé une vitesse moyenne de 24,5 km/h. J’aimerais le dépasser. »
Jean-Pierre Gagné a-t-il un style de vie spartiate, extrême? Certains le pensent, mais pas lui, parce que c’est la vie qu’il a choisie, comme quelques-uns de ses amis. Pour lui vieillir n’est pas vieillir. Son corps a même rajeuni, nous a-t-il dit. Sa routine lui donne une qualité de vie qu’il apprécie.
« Maintenant je vis simplement », dit-il. Il a vendu le superflu. Il est retraité, n’a plus de stress et est heureux. Il aime son coin de pays retrouvé il y a plus de 30 ans, « où l’air est pur », de mentionner M. Gagné, qui souligne son bonheur d’être revenu au bercail.