LA POCATIÈRE – Alain Gravel cumule près de 40 ans d’expérience comme journaliste. Tête d’affiche de l’émission Enquête à Ici Radio-Canada depuis 2007, il a révélé les secrets du journalisme d’enquête aux étudiants du Profil Médias du Cégep de La Pocatière, mardi dernier.
L’émission qu’il anime est à l’origine des révélations sur l’attribution de contrats dans l’industrie de la construction qui a conduit à la Commission Charbonneau.
Il est rare au Québec, au Canada, voire dans le monde, d’avoir une émission consacrée aux enquêtes journalistiques. Ça coûte cher — on peut parfois besogner pendant des semaines sur une piste qui ne mènera à rien —, les bons filons ne courent pas les rues et les risques de poursuites sont énormes, résume M. Gravel. C’est pourquoi, avant de sortir le reportage, il faut que l’information soit « béton-béton. » Elle doit reposer sur plusieurs sources.
Une émission comme enquête n’est pas rentable d’un strict point de vue économique. Au plan social, toutefois, c’est une autre affaire. Sans le travail de journalistes d’enquête, des scandales n’auraient pas été mis à jour. Alain Gravel n’a pas manqué de souligner la contribution de son équipe et de son recherchiste.
Convaincre
Contrairement aux policiers, les journalistes n’ont pas de pouvoir de perquisition ni de saisi de matériel et ne peuvent contraindre quelqu’un à leur parler. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de convaincre les gens de parler. Des premières rencontres se font parfois sans caméra, ni magnétophone, ni calepin de notes. Celle avec la cycliste Geneviève Jeanson s’est faite ainsi. Après des années de déni, Geneviève Jeanson a admis à l’émission Enquête avoir consommé de l’érythropoïétine (EPO) au cours de sa carrière.
Les journalistes utilisent aussi des sources documentaires. Alain Gravel a fait mention du fameux papier de divorce de Philippe Couillard qui a permis de découvrir qu’il avait eu un compte à l’étranger.
« Ça prend des ressources pour faire de l’enquête », affirme Alain Gravel. « Et un service public qui n’est pas esclave d’un environnement commercial », ajoute-t-il.
La démarche
Comme conseils aux futurs journalistes, Alain Gravel lance un mot : travail. Le journalisme doit être un engagement professionnel et non un engagement militant. Si leur texte ou reportage fait l’objet d’une poursuite, explique M. Gravel, c’est d’abord la rigueur de la démarche que le tribunal évaluera. Elle doit être indépendante, impartiale, honnête et responsable.
Les journalistes sont toujours confrontés à des gens qui voudront leur vendre leur salade. Néanmoins, ce n’est pas parce que la source a des intérêts à dévoiler une information que celle-ci n’est pas valable. Il faut alors multiplier ses sources. « Le meilleur journaliste est celui qui est le moins manipulé », dit-il.
En région
Alain Gravel a reconnu qu’il est pratiquement impossible de mener de telles enquêtes dans les médias régionaux. La démarche est la même qu’à Montréal, mais les moyens sont nettement inférieurs. Aussi, les gens se connaissent. « Les fils paraissent plus », disait-il.
Interrogé sur les coupes à Radio-Canada, le journaliste a simplement rappelé la démarche d’appui qui a été lancée auprès du public.
Il a aussi confirmé que malgré une diminution du budget, son émission restera à l’antenne et qu’il n’y aura aucun compromis sur la qualité. Comment s’appliquera la baisse : « il faudra voir. »