Annie, Claude et Les grandes claques

Au retour du Festival Regard où Les grandes claques a remporté le Grand prix canadien, Claude est venu rejoindre sa fille et rencontrer sa petite-fille sur la traverse Rivière-du-Loup—Saint-Siméon. Photo : Courtoisie Annie Saint-Pierre.

L’humilité d’Annie Saint-Pierre n’a d’égal que celle de son père. C’est elle-même qui a suggéré l’idée de refaire un entretien, mais en y ajoutant cette fois son papa, alors qu’elle venait pourtant de nous accorder une entrevue complète de près d’une trentaine de minutes. L’idée était trop belle pour la refuser, d’autant plus que la réalisatrice de Saint-Pascal ne se cache pas s’être inspirée de son père pour créer le personnage de Denis, incarné par Steve Laplante, dans son court-métrage Les grandes claques.

Une journée plus tard et quelques ajustements de caméra en plus, nous voilà réuni par Messenger à discuter de l’admiration d’une fille pour son papa, de la fierté d’un père pour sa fille, de la résilience qui prend racine dans les épreuves du quotidien, de la vie, tout simplement. L’ambiance bon enfant qui se dégage des échanges nous en fait pratiquement oublier la raison première de cet entretien, la présélection d’Annie Saint-Pierre et de son court-métrage Les grandes claques en vue des nominations pour les Oscars qui doivent être dévoilées le 8 février prochain.

« S’il y a quelque chose en quoi je crois actuellement, c’est les mathématiques. La seule chose que je peux dire avec assurance, c’est que j’ai une chance sur 15 d’être sélectionnée », a déclaré la réalisatrice, en clin d’œil à son père, enseignant retraité en mathématique de l’École secondaire Chanoine-Beaudet.

Si Annie Saint-Pierre n’est donc pas rendue au moment où elle se magasinera une robe en vue de la cérémonie, elle est encore loin de savoir qui l’accompagnera sur le tapis rouge ce soir-là à Hollywood, si sa nomination se confirme.

« C’est sûr que mon amoureux va probablement rester avec la petite (NDLR : Annie Saint-Pierre est maintenant maman d’une petite fille de 10 mois). Je serais très heureuse que mon père m’accompagne, mais avec la pandémie qui se poursuit, la cérémonie s’annonce plus restrictive et on sera probablement une équipe limitée à se rendre à Los Angeles. En tout respect, papa, je privilégierais peut-être des gens de l’équipe », répond-elle, sur un ton qui incite au pardon.

Claude comprend la situation et il n’en veut pas à sa fille. La fierté qu’il éprouve face à sa réussite lui suffit amplement.

« Un peu comme vous faites, j’aurais peut-être préféré un métier de journaliste pour Annie. Le cinéma, je me disais que ce n’était sûrement pas un domaine facile. Le jour où elle a présenté son premier documentaire, si j’avais encore des craintes ce jour-là, elles se sont transformées en admiration. Et elle est demeurée humble dans tout ça, ma fille », enchaîne-t-il.

Cette modestie, Claude Saint-Pierre en est pourtant lui aussi doté. La transparence et la générosité dont il fait preuve dans la façon de se livrer surprennent pour un homme de sa génération. Pas surprenant que la complicité soit si forte entre sa fille et lui. Plus l’entretien avance, plus il se dévoile et plus on comprend ce qui a inspiré Annie pour Les grandes claques.

« Les grandes claques, c’est une autofiction, dans la mesure où j’ai été influencée par le lien que j’ai avec mon père, de sa sensibilité et du comment on a évolué ensemble comme famille après la séparation de ma mère et lui. Mais tout le contexte qui entoure l’histoire, je l’ai imaginé. »

À la sortie du court-métrage, aussi bref soit-il, Claude avoue qu’il ne voulait pas le voir au complet, mais en partie. Il était conscient de cette exagération de la réalité, mais il avait visiblement besoin de recul. Un an plus tard, il s’exprime sans pudeur sur cette période de sa vie, et on sent que l’identification au personnage de Denis est forte, au point où la fiction semble avoir rejoint la réalité. Annie, de son côté, n’est clairement pas indifférente aux émotions qu’elle fait vivre à Julie, la fille de Denis, qui prend conscience de la vulnérabilité de son père le soir de Noël, une empathie qui la pousse à grandir.

Claude poursuit : « Ces moments difficiles, ça nous rend plus forts. Cette grande sensibilité, je suis heureux de l’avoir partagé à mes filles. »

– Mon père pourrait être coach de vie, s’exclame Annie !

– Tu travailles justement un film sur les coachs de vie, rétorque Claude, levant du même coup le voile sur son prochain projet.

À ces quelques mots, après 45 minutes d’échanges, la vérité s’était finement dévoilée, rendant l’autofiction encore plus ancrée dans le réel. Si Annie ne s’est jamais cachée que son Denis avait un petit quelque chose de Claude, c’est pourtant lui qui a pris soin de lui rappeler que dans son imaginaire, il était plus que son père, mais également sa muse.

Claude et Annie à Kamouraska, l’été. Photo : Courtoisie Annie Saint-Pierre.