Du miel à mes oreilles

Photo : Adrien Olichon (Unsplash.com)

Je viens de vivre une expérience inouïe, surprenante, quasi surnaturelle… et je veux vous la raconter. Imaginez : j’entre dans une boulangerie de ma région, et devinez ce qui m’accueille ?

J’insiste : vous allez être sceptiques parce que la chose est exceptionnelle. Rarissime. D’une importance à en informer ma mère. Digne de figurer au grand registre des situations en voie de disparition…

Tenez-vous bien parce que c’est incroyable : en pénétrant dans ce lieu, dis-je, je fus accueilli par une ambiance sonore… 100 % en français.

Oui oui, je vous le jure. Ça m’est arrivé. In-cro-ya-ble, non? Je n’en reviens pas encore.

Un réconfortant sentiment de bien-être m’a alors envahi devant cette soudaine légitimation de ma langue et de ma culture. Pour une rare fois, je me sentais chez moi en dehors de chez moi.

Je ne me souviens plus de la dernière fois où j’eus ce bonheur. C’était, de mémoire, avant le déluge.

Ainsi donc, pensai-je, ma langue maternelle, notre langue nationale, a suffisamment de valeur pour mériter d’être diffusée, comme l’anglais, à pleins haut-parleurs? Et dans les endroits publics ? Moi qui en étais venu à croire que c’était devenu interdit dans la province of Quebec, ce demi-pays dont la devise est « Je m’efface »… On aura tout entendu.

Mais mieux encore : quand j’ai félicité la propriétaire, sa réponse m’a sidéré : « J’exige de tous mes employés qu’ils diffusent de la musique en français dans mon commerce, même en mon absence ». Vous avez bien lu. Je n’avais tellement jamais entendu des paroles si pleines de conviction et de fermeté tranquilles de la bouche d’une de mes compatriotes que sans comptoir entre elle et moi, je l’aurais serrée dans mes bras (avec son consentement préalable, bien sûr). Et peut-être embrassée (sur les joues, calmez-vous).

Elle m’expliqua que rien n’était plus facile en vérité : en 2020, il suffit de télécharger l’application de son choix (Stingray, Spotify, YouTube) ou d’accéder à son site préféré (Radio-Canada, des radios commerciales), puis à écrire quelques petits mots inoffensifs comme « musique francophone, ou française, ou québécoise » et des listes de lectures prédéfinies sans cesse en renouvellement défilent gracieusement sous nos oreilles ravies.

Depuis, ébranlé par cette expérience, j’erre, l’air hagard et rêveur, dans les commerces, restaurants, arénas et bars en me demandant si une telle aventure m’arrivera au moins une autre fois… avant ma mort.

Avant la vôtre, je vous souhaite aussi de vivre une telle extase.

Jean-François Vallée, La Pocatière