Faut-il municipaliser les cimetières?yves_hebert20141022

En 2012, la fabrique de Berthier-sur-Mer faisait paraître un avis de recherche pour trouver les descendants de défunts dont les pierres tombales, au nombre de 32, étaient laissées à l’abandon depuis plus d’une trentaine d’années.

À la suite de cette annonce et devant l’absence de réclamations des concessionnaires, la fabrique déplaçait ces pierres et, un an plus tard, elles étaient retirées du cimetière pour être jetées. Cet exemple n’est pas unique dans la région. En 2011, la fabrique Notre-Dame-de-Bonsecours de L’Islet remisait 150 monuments derrière un charnier.

Ces initiatives soulèvent un certain nombre de questions, notamment sur la problématique de la gestion de l’espace des cimetières et aussi sur la prise de conscience de la place du cimetière dans le patrimoine.

Pour bien comprendre la situation actuelle des cimetières des vieilles paroisses du Québec, il faut savoir que ces lieux de repos connaissent une évolution importante. Sous le Régime français, certains défunts étaient enterrés sous le plancher des petites églises. Mais, à partir des années 1850, on a dû cesser cette pratique pour des raisons hygiéniques et aussi parce que le sous-sol de certaines églises était totalement occupé.

Les premiers cimetières ceinturaient généralement l’église et les lots étaient plus ou moins délimités. Avec les années, des fabriques décidèrent d’utiliser un terrain éloigné de l’église et des habitations pour ouvrir de nouveaux cimetières. Quand ces terrains étaient saturés, comme à Montmagny, on exhumait les corps pour les placer dans un nouveau lieu de repos, qui était aménagé et divisé en lots.

Responsabilité des concessionnaires

Mais dans les petites paroisses anciennes, le terrain du cimetière devient exigu. À des fins de gestion de l’espace et pour des raisons financières, un certain nombre de fabriques ont dû faire le choix de déplacer des pierres tombales dont les épitaphes sont illisibles, et des pierres tombales endommagées pouvant entrainer des blessures.

Le trésorier de la fabrique de Berthier-sur-Mer, Marcel Côté, rappelle que l’entretien d’une pierre tombale est la responsabilité des concessionnaires de lots. Conscient de la valeur patrimoniale de certaines pierres, il affirme qu’« une collaboration avec les organismes de conservation du patrimoine funéraire serait possible, mais que cela pose un problème au plan des finances de la fabrique. »


Stèles retirées des lots familiaux au cimetière de Berthier-sur-Mer.

Monument significatif

Que doit-on penser de cela? À Berthier-sur-Mer, une pierre tombale non réclamée durant un an et jugée encombrante a pris le chemin d’un site d’enfouissement. En forme de colonne carrée, surmontée d’une croix celtique, elle fut érigée en 1909 à la mémoire d’Alice Lapierre, épouse de Joseph Blais. Rappelons que Joseph Blais est le fils du célèbre navigateur de Berthier, Narcisse Blais. Par sa forme, elle rappelle la grande croix celtique de la Grosse-Île.

Peut-il y avoir un lien entre cette grande croix celtique érigée sur l’île, à la mémoire des Irlandais, aussi en 1909, et celle de Berthier? On ne le sait pas, malheureusement. Mais il s’agissait d’un monument exceptionnel qu’on aurait pu préserver. D’ailleurs, rappelons que Berthier-sur-Mer a adopté plusieurs orphelins irlandais, dont les parents étaient morts du typhus en 1847 sur cette île de la quarantaine.

Responsabilité des fabriques

Selon Gino Cloutier de l’Association des cimetières chrétiens du Québec et directeur général des Jardins Commémoratifs Saint-Germain (Rimouski), « la conservation du patrimoine des cimetières est la responsabilité des fabriques et des compagnies de cimetière. »

Selon lui, elles doivent tout faire pour commémorer le plus longtemps possible le souvenir des défunts. La mise en place d’un Fonds patrimonial par les fabriques est une solution qui existe, notamment à Rimouski.

Gino Cloutier admet qu’il existe un problème dans certaines fabriques et que les paroissiens doivent poser des questions au Conseil de fabrique. « Les solutions, dit-il, doivent passer par les fabriques et les compagnies de cimetière et non par la municipalisation des cimetières ».

M. Cloutier considère qu’il faut sensibiliser la population à la valeur patrimoniale et commémorative des cimetières anciens en ayant recours à l’expertise des historiens et des ethnologues. « Les fabriques et les paroissiens doivent explorer des sources de financement », ajoute-t-il.

Patrimoine commun

Jean Simard, membre de la Société québécoise d’ethnologie, auteur et directeur d’une monumentale synthèse sur le patrimoine des cimetières du Québec (Éditions GID), affirme que la société québécoise a changé. « Devant l’importante diminution de la fréquentation des églises qui entraine une baisse des revenus, les fabriques vivent un problème majeur. Le cimetière pourrait bien être le parent pauvre de la situation », argue-t-il.

Selon M. Simard, le cimetière doit être considéré comme un patrimoine commun pour la collectivité. « Microcosme de la société qui l’a forgé, le cimetière appartient à tous », dit-il. C’est pourquoi il propose avec d’autres organisations comme la Fédération Écomusée de l’Au-Delà, la municipalisation des cimetières.

« Le cimetière est aujourd’hui plus représentatif d’une communauté qu’une église, dit-il, car la société a changé. Si le cimetière devient un bien public, cela permet aux citoyens de prendre la parole et de voter un budget pour la protection de leur patrimoine commun. »

Jean Simard, avoue que la municipalisation ne règle pas tous les problèmes, mais il souhaite que les fabriques passent la main aux citoyens pour assurer la pérennité du cimetière et de son patrimoine riche en histoire. D’ailleurs à la fin du colloque L’avenir des cimetières au Québec, qui s’est tenu en octobre et novembre 2013 à Montréal, une déclaration pour la sauvegarde des cimetières a été promulguée.

L’on y affirme « l’importance et la signification du patrimoine funéraire pour les sociétés et les individus qui les composent » et l’on propose, entre autres, de « susciter et favoriser l’intégration des pratiques funéraires contemporaines dans les cimetières et les lieux de sépulture, dans le respect du patrimoine funéraire existant ». On peut lire les actes du colloque L’avenir des cimetières au Québec au www.ecomuseedelau-dela.net