MONTMAGNY – Ils sont très peu au Québec. Environ une quinzaine. Il est vrai que ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir pratiquer ce métier qui demande une bonne dose de créativité, l’artisan-armurier se voyant souvent obligé de créer ses propres outils de travail pour exercer son art. Il faut aussi s’exiler pour apprendre. Il n’y a qu’un seul endroit au Canada où l’on peut se former en armurerie. Qu’à cela ne tienne, Joël Théberge, jeune homme déterminé et créatif, a réalisé ses rêves d’enfance et d’adolescence. Maintenant, à 34 ans, il travaille à son compte. Il est devenu artisan-armurier-machiniste.
À l’époque de la Nouvelle-France, et après aussi, les armuriers n’étaient pas non plus légion. On a commencé par les faire venir de France et, peu à peu, les maîtres-artisans ont formé des apprentis qui ont pris la relève.
Lors du recensement de 1666, ils sont onze. On en dénombre deux à Québec, un à l’île d’Orléans et un autre en Côte-du-Sud. Cependant, pour celui-là, on ne mentionne malheureusement pas le lieu exact où il pratiquait.
En 1676, les armuriers forment à Montréal une société : La Saint-Éloi, corporation des armuriers. Le 1er décembre est pour eux un jour chômé, puisqu’il s’agit de l’anniversaire du saint, leur vénéré patron, d’ailleurs encore fêté en France.
Quelques années plus tard, en 1681, l’armurier de la Côte-du-Sud est toujours recensé*. Qui sait, peut-être était-il à Saint-Thomas (Montmagny), lieu où l’armurier Joël Théberge a récemment ouvert sa boutique sous le nom de Atelier T-BEX/T-BEX CAMO.
Ajustement d’une plaque de couche.
Rêve d’enfance
« Quand j’étais enfant, raconte-t-il, je disais à mon grand-père que je travaillerais à mon compte. » Les années ne l’ont pas trahi et après un cheminement toujours en lien avec l’apprentissage de son art et de la machinerie de précision, le voilà aujourd’hui réalisant un double rêve.
Le deuxième rêve, devenir armurier, a pris naissance alors qu’il avait 15 ans. Originaire de Trois-Pistoles, l’adolescent qui avait toujours aimé les armes à feu – à remarquer qu’il ne chasse pas – s’est inscrit dans les cadets de l’armée de terre, à Rivière-du-Loup. « C’est au sein des cadets que j’ai commencé à tirer. Et comme j’étais bon, je suis devenu instructeur de tir. » C’est à ce moment qu’il a songé qu’il pourrait devenir armurier.
S’exiler pour étudier
Joël Théberge dut partir de son village, après son cours secondaire, pour acquérir une formation spécialisée à Maniwaki, pendant deux ans, seul endroit au Canada où se donne le cours d’armurerie. « Mon but c’était de devenir Weapon Tech dans les Forces armées. Mais, quand je suis sorti de l’école d’armurerie, tous les postes avaient été comblés. »
Il est retourné à Trois-Pistoles, à 19 ans, avec en poche son diplôme d’armurier. Mais comme c’était trop difficile de se lancer à son compte, il a dû se trouver un autre emploi. Cela l’a amené chez Teknion. Il s’est alors établi à Montmagny, où il a fondé une famille. « J’y ai travaillé une dizaine d’années, de dire l’armurier, et là, j’ai décidé de retourner me former en usinage. Mais toujours dans le but, qu’un jour, j’allais me lancer en affaires. » Il est ensuite retourné chez Teknion comme machiniste.
Pièce antirecul machinée par l’artisan.
Créativité
« Comme machiniste, j’ai fabriqué des machines. Aujourd’hui, tout ça me sert parce que je suis en train d’en fabriquer une qui va servir à copier des crosses d’armes. » Elle servira à fabriquer des crosses en bois, entre autres, pour les armes qui ne sont plus sur le marché.
Une autre lui permet de faire ses propres pièces d’armes à feu, par exemple. Il a aussi créé un outil qui lui permet de réparer les canons de fusils endommagés. Il utilise couramment l’acier en haute teneur en carbone.
L’artisan fabrique plein d’autres accessoires pour fusils et carabines, mentionnons les antireculs permettant d’amortir de 50 % l’impact de l’arme sur l’épaule.
« J’adapte même des crosses pour les gens souffrant d’un handicap physique », de mentionner l’armurier. Il bleuit les canons selon les règles de l’art, puisque ça ne se fait pas « avec un petit kit acheté », lance-t-il. Et ce ne sont là que quelques-uns des services qu’il offre en tant qu’armurier.
Au début, il travaillait à temps partiel, le soir et les fins de semaine, dans un atelier qu’il avait aménagé dans le garage derrière sa maison. « Je faisais du bon ouvrage. Et plus ça allait, plus je me faisais connaître », mentionne-t-il. Il se consacre maintenant entièrement à son métier. Il a ouvert un atelier sur le boulevard Taché, en septembre 2013. Pour l’instant il travaille seul, mais n’exclut pas la possibilité d’employer quelqu’un.
Clientèle
Grâce au bouche-à-oreille, à son site web (www.ateliert-bex.com), à Facebook et au fait qu’il fréquente beaucoup les salons d’armes à feu, il a des clients qui viennent de Saint-Pascal, de Rivière-du-Loup, de Rimouski, de Québec, de la Beauce, de Trois-Rivières et même de la Gaspésie et de Montréal. « Environ 80 % de ma clientèle vient d’en dehors de Montmagny », dit-il.
D’ailleurs, il compte bien développer son territoire plus à l’Est, vers son pays natal du bas du fleuve. Et, pourquoi pas, ouvrir une succursale à Rimouski, a-t-il laissé entendre.
Crosse en bois laminée.
Legs
Comme c’est souvent le cas quand on interview un artisan, on s’aperçoit que son choix a été directement ou indirectement influencé par des personnes proches. Dans le cas de Joël Théberge, son arrière-grand-père et son grand-père ont été forgerons, des artisans du fer donc, un peu comme lui avec ses canons d’armes et son métier de machiniste.
« J’ai découvert une photo. Tu sais, ils ont fait l’histoire de Trois-Pistoles. Et en regardant le livre, j’ai vu une photo de mon arrière-grand-père, Alphonse Théberge. Il avait une boutique de forge derrière chez lui. Puis, étrangement, ça ressemblait à mon garage, où j’ai commencé. »
Son grand-père, qui dut abandonner la profession à cause de la maladie, est devenu expert en aiguisage d’égoïnes. « Et le monde venait de loin pour faire aiguiser les égoïnes. Et moi aussi j’en aiguise des égoïnes! », lance-t-il, amusé.
Qui plus est, en ce qui concerne son esprit d’entreprise, quant à savoir d’où ça lui vient, il répond simplement, sourire en coin : « Bien, mon père, c’était un »commerçeux ». Il vendait n’importe quoi! »
En ce moment, selon lui, il n’y aurait qu’une quinzaine d’armuriers au Québec. Montmagny a maintenant le sien. Bien qu’il ait rencontré quelques obstacles dans ses démarches pour mener à bien son entreprise, il a su, par sa détermination poursuivre son rêve et le réaliser.
Il a des projets plein la tête, mais sait les cibler un à la fois. À court terme, il travaillera, avec l’aide du CLD de la MRC de Montmagny, à peaufiner son plan d’affaires et à terminer son prototype pour la fabrication d’une machine qui lui permettra de façonner des crosses de remplacement du genre « tacticool ».
Grâce à cette machine, il pourra faire des crosses sur mesure, entre autres pour les gauchers. La rareté de son métier, ses compétences et son attitude positive font en sorte que cet artisan est une richesse pour notre collectivité.
* Sources historiques : Russel Bouchard, Les armes de traite, Boréal, 1976, et Russel Bouchard et al, Armes, chasse et trappage, Université Laval, coll. Cahiers du Célat, no 7, 1987.