Cette année encore, Le Placoteux offre à ses lecteurs un conte de Noël. Une auteure de Saint-Jean-Port-Joli, Mme Jacqueline Lessard, nous propose, par sa plume, de vivre « Un Noël pas comme les autres ». Mariée à un diplomate, elle a parcouru le monde avec ses quatre enfants de 1969 à 2004. Les chartreuses, publié en 2008, est son troisième roman, après Sortie rue Cambon (Libre expression, 2004) et Les enfants d’Annaba (Libre expression, 2005).
Un Noël pas comme les autres
Il était une fois, dans l’un de ces jolis petits villages du bas du fleuve Saint-Laurent, un vieil homme acariâtre et solitaire. Lorsqu’il s’était installé à Saint-Tranquille dans les années soixante, il avait d’emblée fait savoir qu’il ne souhaitait pas s’intégrer à la vie des villageois et qu’il ne voulait pas non plus qu’on lui rebatte les oreilles avec des sornettes comme l’amitié, l’entraide et le partage.
― Je ne veux ni de votre sympathie ni de votre pitié, je ne désire pas recevoir vos invitations et je ne répondrai à aucune sollicitation. Vous ne me verrez jamais à l’église, je suis athée, avait-il ajouté à l’intention du curé Clément.
Inutile de préciser qu’il abhorrait le temps des Fêtes.
Sans contredit, il était un vilain grognon dont les manières irritaient les adultes et apeuraient les enfants. On ne lui connaissait ni famille ni ami. Personne ne l’avait jamais entendu rire ni même vu sourire. Seul avec ses fleurs au printemps, son potager l’été et ses misérables vignes l’automne, tel un gros ours il hibernait de novembre à mars. Les villageois le supposaient riche comme Crésus et avare comme Harpagon. Au cours des années, le bruit s’était répandu qu’à chaque pleine lune il s’enivrait et faisait un boucan pas possible. Mais puisque Grégoire Rupin n’entretenait aucune relation avec ses voisins, on ne pouvait rien dire de plus à son sujet.
Seule Samar, sa femme de ménage, avait le droit de pénétrer dans le manoir palissadé. Elle faisait les courses et la cuisine pour lui, astiquait et voyait à l’entretien de sa propriété. Sa maison, la plus somptueuse de la région, possédait tous les avantages que l’on puisse souhaiter. Sise au pied de la montagne, elle se trouvait d’une part épargnée des rafales de vent dont Saint-Tranquille était victime plus souvent qu’à son tour. D’autre part, camouflée dans les érables à l’orée de la forêt, elle jouissait du calme dont ne bénéficiaient pas les maisonnettes alignées le long de la route. De plus, comble du luxe, la résidence surnommée « le Manoir du fossile » donnait droit sur le fleuve. La rumeur voulait que les plus célestes couchers de soleil puissent être contemplés depuis l’atelier du vieux Grégoire, grâce à une gigantesque baie vitrée qu’il avait, d’après les connaisseurs, fait tailler en Italie.
Un après-midi de novembre, alertée par les cris et les gémissements du vieillard, Samar n’avait pas hésité à enfreindre les ordres et s’était précipitée dans l’atelier. Elle y avait trouvé le vieux allongé sur le parquet, blanc comme neige. L’ayant aidé à se remettre sur ses pieds, elle l’avait, malgré ses protestations, soutenu jusqu’à sa chambre pour qu’il s’allonge sur son lit.
― Je vais tout de suite appeler l’ambulancier, avait-elle décidé.
Mais malgré sa faiblesse, Grégoire avait piqué une colère et avait menacé sa ménagère de la congédier si elle s’avisait d’informer qui que ce soit de son malaise.
― Je n’ai besoin de personne, laisse-moi.
Revenue bouleversée chez elle, Samar avait confié à sa petite-fille être terrorisée par le vilain homme et ne pas avoir l’intention de rester plus longtemps à son service.
― Mais grand-mère, que va-t-on faire si tu n’as plus ce travail?
― J’en trouverai un autre, avait répondu Samar sans conviction.
Mais Aïcha savait bien que c’était impossible. Et sa famille qui vivait à neuf dans quatre pièces avait besoin de chaque dollar que ses parents, ses grands-parents et ses frères et sœurs aînés pouvaient réunir. Venus d’Algérie après des années d’attente, de privation et d’angoisse, ils étaient enfin arrivés au Canada et s’étaient installés à Saint-Tranquille où le père d’Aïcha avait remplacé Grignon, le boulanger parti pour la ville.
Pâtissier de son métier, Karim avait dû faire preuve de courage pour maintenir le petit commerce ouvert, et chaque jour avait été un combat. Ses gâteaux, des délices algériens tellement en demande à Annaba, ne trouvaient pas preneurs à Saint-Tranquille. Et malgré sa gentillesse et sa détermination à s’intégrer à la vie du village, Karim ne connaissait pas les mots appropriés pour lier amitié, pas davantage pour dire à ses clients toute la douceur de l’eau de rose ou d’oranger dont étaient parfumées ses galettes.
Saïd, le grand-père d’Aïcha, habile et ingénieux, s’était mis à la fabrication d’objets de toutes sortes à partir des plus belles essences de bois qu’il trouvait à Saint-Tranquille. Et il avait initié ses petits-enfants à cet artisanat. D’avril à novembre, tous les samedis, leur étal du marché croulait sous les merveilles qu’ils avaient réalisées au cours de la semaine. Malheureusement, les clients leur préféraient les babioles en plastique que Viateur rapportait de Cap-Luxuriant.
Quant à Fouteen, la mère d’Aïcha, pourtant excellente cuisinière, après avoir offert en vain ses services à l’auberge, à la salle paroissiale, au presbytère, de même qu’à la cantine de l’école, elle s’était résignée à composer avec le maigre budget dont elle disposait pour nourrir la maisonnée. Il arrivait souvent qu’Aïcha entende sa maman pleurer la nuit; aussi priait-elle Allah pour que Grégoire Rupin ne chasse pas Samar et que Karim vende ses pâtisseries afin qu’ils n’aient pas à quitter Saint-Tranquille.
En conclusion, les gages que Grégoire grippe-sou versait à Samar restaient le seul revenu substantiel sur lequel la famille d’Aïcha pouvait compter.
― Que ferions-nous sans l’argent que tu gagnes, grand-mère?
― Ne crains rien, ma chérie, je n’abandonnerai pas mon travail avant d’en avoir trouvé un autre, s’était reprise Samar. Et rassure-toi, je suis la seule que le vieux accepte dans sa maison. Il a besoin de moi, il ne me chassera pas.
***
Quelques semaines plus tard, au cours de la nuit du 23 au 24 décembre, une tragédie frappa le village de Saint-Tranquille. En moins d’une heure, la centaine d’habitants du hameau fut non seulement plongée dans le noir et le froid, mais complètement coupée du reste du monde. On les avait pourtant annoncées, mais aucun des qualificatifs utilisés par la speakerine n’avait laissé entrevoir des bourrasques de cette envergure. Tout à la fois, la pluie glacée, la neige et la grêle s’abattirent sur le village. Et avant l’aube, cette giboulée poussée par des vents déments se transforma en la tempête la plus violente que Saint-Tranquille ait jamais affrontée.
Le dernier coup de téléphone que Label, le chef de poste, réussit à capter, prévenait le maire que Viateur ne pourrait pas décoller avant quelques jours. Pilote de l’unique hélicoptère qui devait apporter les provisions indispensables aux préparatifs du réveillon et, surtout, les jouets commandés au Père Noël qui s’approvisionnait à Cap-Luxuriant, Viateur avait dû, à cause des rafales, annuler toutes ses livraisons depuis Vibouak jusqu’à Saint-Tranquille. Une veille de Noël, oui, c’était une catastrophe.
Dès huit heures, le lendemain, la maire convoqua les notables du village à une réunion d’urgence. Mais aucune solution ne ressortit des discussions animées. Confronté à une situation apparemment sans issue, le curé Clément fit sonner les cloches pendant vingt minutes. Les paroissiens qui eurent le courage de quitter leur domicile, emmitouflés dans des parkas et des pelisses, bravèrent la tempête pour se retrouver à vingt dans la nef de l’église.
Les hommes et les femmes venus discuter des mesures à prendre pour éviter le pire restaient silencieux. Serrés les uns contre les autres dans les premiers bancs près d’un vieux poêle qui dispensait chichement un filet de chaleur, ils se frottaient les mains en hochant tristement la tête.
― Nous sommes tous sans courant depuis des heures. Nous ne pourrons pas survivre très longtemps, privés de chauffage et d’éclairage, déplora Phil, l’électricien.
― La seule chose à faire est d’amener tout le monde à l’église pour la nuit, proposa Sauveur, l’ambulancier. Nous entretiendrons le feu à tour de rôle.
― Mais les réveillons en famille? Nos arbres de Noël? Les cadeaux pour les petits? Comment ferons-nous? demanda Colombe, des trémolos dans la voix.
― On ne peut tout de même pas annuler la nuit de Noël! renchérit la maîtresse d’école.
― Nous n’avons pas le choix, sermonna le curé Clément. Et il faut faire vite. Dans quelques heures, il sera impossible de traverser le pont couvert. On ne doit laisser personne dans le froid cette nuit! Courez prévenir tout le monde. Avec Sauveur, je m’occuperai de ceux qui n’ont pas de transport.
― Je n’arrive pas à le croire. N’y a-t-il pas un autre moyen? se plaignit la femme de l’épicier.
― Si, fit une petite voix au fond de l’église.
―Aïcha? Que fais-tu ici? Tu es venue toute seule, dans cette poudrerie! On ne voit ni ciel ni terre! Mais tu es folle, petite!
― C’est parce que je… C’est ma grand-mère qui m’envoie…
― Retourne vite chez toi. Ta mère doit être morte d’inquiétude, la réprimanda Colombe. Viens, je te ramène.
― Non… attendez! insista Aïcha, la gorge nouée. C’est Samar, ma grand-mère, qui ….
― Nous n’avons pas de temps à perdre à écouter des sottises. Et que peut comprendre ta grand-mère au drame que nous vivons? Vous ne fêtez même pas Noël! la rabroua Phil.
― Écoutons-la tout de même, proposa le curé Clément, nous n’avons plus grand-chose à perdre.
***
Alors que les maisons du versant nord étaient enfouies sous les avalanches, que les autres habitations avaient disparu dans la poudrerie, que plus une seule rue n’était praticable à Saint-Tranquille, telle une citadelle, la résidence du vieux Grégoire brillait de mille feux. Les génératrices bourdonnaient en chœur, dispensant l’énergie nécessaire pour alimenter tous les appareils de la maison, ainsi que les lampadaires des vérandas et du domaine. Il n’était pas seize heures et déjà la nuit tombait en cette triste veille de Noël, lorsque la dernière voiture franchit le portail d’entrée du « Manoir du fossile ».
Samar avait remis au curé Clément la clé que Grégoire Rupin lui avait concédée pour les cas de force majeure. Le message qu’elle avait dicté à sa petite-fille à l’intention du prêtre était le suivant : « Grégoire est souffrant, il ne quitte plus sa chambre. La clé qu’Aïcha vous remettra ouvre le grand portail et je ne tirerai pas les verrous de la porte principale. Mis à part l’atelier (n’y entrez surtout pas), vous pouvez occuper toutes les pièces du bas, le vieux dort à l’étage. Surtout ne faites pas de bruit.»
Tous les salons et boudoirs du rez-de-chaussée, à l’exception de l’atelier que Grégoire gardait fermé à double tour en tout temps, fourmillaient de la centaine d’hommes, de femmes et d’enfants qui s’y étaient réfugiés. Mais bien que le gîte fût confortable et que chaque famille eût emporté de quoi subvenir aux besoins des siens pour un jour ou deux, la déception se peignait sur tous les visages. Dans quelques heures, à minuit, l’enfant Jésus viendrait au monde avec son message d’espérance, mais on n’avait rien prévu pour le recevoir. À vrai dire, la joie n’était pas au rendez-vous.
En sueur, malgré le froid qui sévissait à l’extérieur, le curé Clément faisait l’appel une dernière fois. Plus personne ne manquait. Satisfait, il fit la tournée des pièces où les villageois s’étaient regroupés et donna des instructions.
― Nous devrons nous passer de réveillon et de cadeaux, cette année, mais nous allons au moins célébrer la messe de minuit et accueillir l’enfant Jésus comme il se doit, ajouta-t-il avant que ses paroissiens ne se mettent au travail.
Plusieurs mamans se rendirent à la cuisine afin de réchauffer les victuailles prévues pour le repas du soir, alors que d’autres s’empressèrent d’aligner dans le grand salon les sacs de couchage qui allaient servir de lits pour une nuit ou deux. Les adolescents s’étaient vu confier la décoration des corridors et du grand séjour où les hommes s’affairaient déjà, certains à la fabrication de l’autel, plusieurs à la confection de la crèche.
***
Peu à peu, les braises se mirent à crépiter dans la cheminée et des guirlandes lumineuses égayèrent les couloirs du rez-de-chaussée. Le somptueux vivoir avait pris les allures d’une chapelle où chacun arrivait, recueilli, pour assister à la messe de minuit. Le curé Clément commença la célébration avec des paroles réconfortantes, rappelant à ses paroissiens qu’ils étaient tous ensemble en sécurité et que leurs enfants s’étaient endormis bien au chaud. Il fallait en remercier le ciel.
― Allez en paix, répéta-t-il en terminant la cérémonie. Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous.
― Et avec votre esprit, répondirent en chœur les villageois serrés les uns contre les autres dans l’élégant séjour de Grégoire Rupin.
La mine basse, ils allaient se disperser et s’installer pour la nuit lorsqu’une musique sublime leur parvint de l’aile ouest du manoir. Incrédules, ils prêtèrent l’oreille.
― Écoutez ! On dirait du violon. Ça vient de l’atelier.
À la suite du curé Clément qui avait enclenché la procession, ils marchèrent sans bruit jusqu’à la grande porte capitonnée.
― Oui, c’est bien d’ici que provient cette jolie musique. C’est l’atelier. Mais Samar nous a adjurés de ne pas y entrer.
Silencieux, entassés dans le long couloir et sur le point de rebrousser chemin, ils perçurent le cliquetis de la porte qu’une main invisible ouvrait. Dans une lumière dorée prodiguée par de fabuleux candélabres, ils aperçurent le vieillard assis dans un fauteuil roulant, poussé par le frère aîné d’Aïcha. Emmitouflé dans un peignoir à carreaux, Grégoire Rupin frottait un long archet sur les cordes de l’instrument d’où une musique sublime s’échappait.
― Approchez, entrez, les invita le frère d’Aïcha.
D’abord craintifs, puis curieux, tous suivirent le curé Clément à l’intérieur de la pièce spacieuse.
― Oh! Comme c’est beau! Magique! s’exclamait-on à la ronde.
Ce que les villageois y découvrirent les laissa ébahis un long moment. La beauté de ce qui s’offrait à leurs yeux surpassait tout ce qu’ils avaient pu voir en rêve.
― Cette table doit faire au moins dix mètres! s’exclama Dubois, le charpentier du village.
― Je n’ai jamais vu de broderie aussi fine, avoua Maline la couturière en palpant les rebords de la nappe.
― Et tout cet or! Et cette argenterie! Et ces chandeliers! Et cette porcelaine!
― Et tous ces plats qui embaument! crièrent les plus affamés.
― Et ce gigantesque sapin de Noël! D’où viennent donc tous ces cadeaux si joliment emballés? demanda Colombe.
Samar et son beau-fils Karim s’avancèrent timidement jusqu’au fauteuil de Grégoire qui jouait toujours du violon. Les arpèges s’achevaient, le silence s’imposa.
― Monsieur Rupin vous souhaite la bienvenue, proclama Karim. Il est désolé que la tempête vous empêche de fêter Noël selon votre tradition, et il nous a demandé de préparer de petites surprises pour vous et vos enfants.
Une rumeur d’étonnement s’éleva dans l’atelier.
― Ma famille et moi venons de célébrer la Tafaska, c’est la plus grande fête de l’Islam, poursuivit Karim. Et nous cuisinons toujours en grande quantité pour cette occasion, dans l’intention de partager. Alors voici le couscous et le tajine d’agneau que nous avions préparés, ainsi que le bourak ennabi, ce sont les feuilles de pâte filo farcie que vous voyez sur les grandes assiettes, expliqua Karim sous les applaudissements.
Son sourire s’élargit jusqu’à ses oreilles. Encouragé par les ovations et les regards admiratifs que la table suscitait, il poursuivit :
― C’est ma femme Fouteen qui a apprêté tous les plats ainsi que le khobz dar, notre pain traditionnel, et les boulettes de poisson. Moi, je vous ai apporté les makroudh farcis aux dattes, les zlabia, et les ghoribas aux amandes énuméra-t-il avec fierté. Je suis certain que vous aimerez ces grands beignets au miel! Puis j’ai aussi…
― Vous portez bien votre prénom, Karim, vous êtes un homme généreux! s’écria le curé Clément.
― À table! À table! s’écria l’assemblée.
― Il y aura des petits cadeaux pour chacun de vous, tenta de se faire entendre Saïd.
― Des cadeaux! s’écrièrent-ils.
― Des petits riens, s’empressa de préciser le grand-père d’Aïcha, des babioles que je fabrique… Il y a surtout des jouets pour les enfants…
― C’est merveilleux! Ils les trouveront au pied de l’arbre demain matin, s’émut Colombe.
― C’est incroyable! Y en a-t-il vraiment pour chacun d’eux? demanda une jeune maman.
― On m’a dit que d’après le dernier recensement, il y avait trente-trois enfants de moins de dix-huit ans à Saint-Tranquille. Chacun a son petit paquet au pied du sapin, affirma le grand-père d’Aïcha.
― Merci, Saïd! Et soyez heureux comme le veut votre nom, n’est-ce pas? Grâce à vous et à votre famille, nos enfants auront un merveilleux Noël, se réjouit la maîtresse d’école.
― Grâce à vous aussi, Monsieur Rupin! Et nous vous remercions du fond du cœur!
― Ne me remerciez pas. L’idée n’est pas la mienne et je ne crois pas en cette fête. Remerciez plutôt Samar qui m’a convaincu de l’importance qu’elle a pour vous. Elle m’a dit : « Noël est aussi beau que la Tafaska! Et Jésus est un très grand prophète. Personne ne peut le nier, même pas vous, Grégoire Rupin! »
Et dans un sourire moqueur, le vieux ajouta :
― Elle m’a surtout dit qu’elle ne remettrait pas les pieds au manoir si je ne me portais pas à votre secours. J’ai bien failli la rabrouer, mais je me suis rattrapé à temps. J’avoue avoir besoin de cette entêtée.
― Nous ne pourrons jamais assez vous dire notre reconnaissance, Samar. Et nous prierons pour vous, Monsieur Rupin; Dieu vous récompensera, voulut conclure le curé Clément au nom de tous.
Toujours dans son fauteuil, son violon sur les genoux, Grégoire leva la main en signe de protestation. Le curé se tut.
― Vous savez ce que je pense de toutes ces fariboles, Clément! Je ne crois pas que le fils d’un dieu soit venu au monde à Bethléem, je ne crois pas aux miracles, je ne crois certainement pas à la vie après la mort. Non, je ne crois en rien du tout, sinon en ce moment précieux que je vis maintenant. Je pense pourtant avoir compris le sens de cette fête. Et je n’aurais jamais cru éprouver une telle émotion à vous voir tous aussi réjouis devant une table, un arbre et des…
À son tour, le curé Clément coupa la parole à leur hôte.
― Un arbre? Une table? Vous croyez voir un sapin et un banquet? Regardez bien, mon bon Grégoire ! Ce que vous voyez ici, c’est un miracle de compassion, de solidarité, d’amour et de tolérance!