LA POCATIÈRE — Professeur au département de Lettres et communications du Cégep de La Pocatière, Jean-François Vallée n’est pas réalisateur de métier. Pourtant, il y a 8 ans déjà, il a empoigné sa caméra MiniDV et patiemment commencé à recueillir les images qui donneraient naissance à « Castor inc. Harnacher, détourner et ennoyer », un documentaire cherchant à conscientiser le public aux impacts de l’hydroélectricité sur le territoire québécois.
M. Vallée est né à Chicoutimi. Enfant, il se rend pêcher et chasser avec son père à leur camp situé au kilomètre 34 du « chemin des passes dangereuses », un chemin forestier long de plus de 300 km pénétrant la forêt du nord-est du Lac-Saint-Jean. Devenu adulte, quand il veut monter jusqu’au km 190 pour contempler ces fameuses passes réputées dangereuses, parce que périlleuses à franchir en canot, il constate avec surprise que les fameuses Chute-des-Passes se résument désormais à un cours d’eau d’un débit de 3 m 3 /s. La cause : la 3e centrale hydroélectrique construite par Alcan en 1947, celle de Chute-des-Passes, avait dompté à jamais ce secteur jadis impétueux de la rivière Péribonka.
Quelques années plus tard, il se rend trapper en motoneige avec un Attikamek sur le réservoir Gouin. Son guide amérindien immobilise la motoneige au milieu du réservoir gelé, et lui révèle alors qu’il est né… au fond du réservoir, dans son village maintenant ennoyé.
Castor inc. montre les impacts de la construction par Hydro-Québec en 2007 d’une 4e centrale plus au sud, au km 152 de la Péribonka, au confluent de la rivière Manouane. Le documentaire insiste aussi sur le fait qu’en 2003, pour la première fois de son histoire, Hydro-Québec détournait partiellement une rivière, la Manouane, vers le réservoir Pipmuacan, ce qu’elle fera également la même année avec les rivières Sault-aux-Cochons et Portneuf.
Le « réservoir » Saint-Jean
Hypothéquée par quatre barrages, la Péribonka, dit-il, a payé cher son tribut au développement hydroélectrique, public comme privé. Sensible à ce fait, Jean-François Vallée a investi son temps et son argent — environ 25 000 $ — pour en illustrer les impacts environnementaux, économiques et sociaux. Ces impacts sont mis en perspective avec ce qu’on a surnommé « La tragédie du Lac-Saint-Jean », soit son ennoiement en 1926 par la compagnie Alcan, qui l’a transformé en réservoir.
Au passage, on y relate également le combat victorieux mené au début des années 1990 par un comité fort de 12 000 membres opposés à un avant-projet de quatre barrages qui menaçaient alors la rivière Ashuapmushuan, principal affluent du Lac Saint-Jean.
Au fur et à mesure que son projet avance, Jean-François Vallée se déplace avec une équipe de plus en plus complète et professionnelle regroupant caméraman, preneur de son et guides, que ce soit pour les tournages réalisés en avion, en camionnette, en bateau ou en VTT. Il a confié la production et le montage final à Hidalgo Média, de Saint-Pascal.
Ce documentaire d’une heure regroupe quelques maires des MRC concernées, des porte-paroles du Conseil régional en environnement du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la compagnie Rio Tinto Alcan, l’ancien président du regroupement pour la protection de la rivière Ashuapmuchuan et un élu du conseil de bande de Mashteuiatsh. Les propriétaires de chalet les plus touchés par le projet, trois Québécois, dont un Ilnu, sont aussi interviewés. Ces interventions sont illustrées par des images aériennes et terrestres, par des statistiques et par des documents d’archives.
« Comme elle le fait avec tous les documentaires qui questionnent nos rapports avec la consommation d’énergie hydroélectrique, que ce soit Rivières d’argent ou Chercher le courant, Hydro-Québec a choisi de s’abstenir de participer à Castor inc », déplore son réalisateur.
Consommer moins
Certes, reconnaît M. Vallée, il n’existe pas de solution inoffensive pour la production d’énergie, que ce soit l’éolien, le pétrole ou l’hydroélectricité. Ce documentaire remet en question nos rapports avec la consommation d’énergie. « Continuer à chercher à moins consommer est la meilleure façon de réduire ces impacts, puisque le seul Watt qui n’a aucun impact est le Néga-Watt, c’est-à-dire celui qu’on ne dépense pas », affirme M. Vallée.
Castor inc. sera présenté en avant-première au cinéma Le Scénario de La Pocatière, à la mi-octobre, puis en première au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le réalisateur le proposera aux grandes chaînes de télévision québécoises.

