Le cochon avant l’humain

Photo : Chad Stembridge (Unsplash.com)

Non, ce texte ne s’intéresse pas en premier lieu à ce qui se passe ou ce qui s’est passé dans les usines de transformation de porc de la région en lien avec la propagation de la pandémie. On peut questionner le modèle ou le mode de fonctionnement de cette « industrie » et le concept même de « l’agrobusiness », mais tel n’est pas ici mon propos.

J’en ai contre une autre facette de cette production animale. À tous les printemps, et ce, depuis des années, c’est la même chose. Au moment où le beau temps se manifeste, où les bourgeons sortent et les fleurs commencent à éclore, alors qu’après un long hiver on est heureux de mettre enfin le nez dehors, voilà qu’on asperge le territoire d’un lisier nauséabond dont l’infecte odeur s’infiltre jusque dans les maisons. Et comme si ce n’était pas suffisant de nous rendre ainsi désagréables les premiers beaux jours, voilà maintenant que cette pratique s’impose tout au long de la belle saison. Avant la fenaison, après une première coupe, à la suite d’une seconde coupe, avant l’hiver… si bien que notre magnifique région est constamment noyée dans cette pestilentielle senteur qui nous empoisonne l’existence. Un barbecue en famille ? Une noce dans un site enchanteur ? Nous avons tous vécu la hantise que ces fêtes ou ces rassemblements soient assombris par un épandage intempestif.

Le plus paradoxal dans cette histoire, c’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle, à une époque où les égouts à ciel ouvert pullulaient dans les grandes villes et où les déjections de toute nature se retrouvaient dans la rue, ceux qui en avaient les moyens fuyaient cette atmosphère putride pour se réfugier en campagne. C’est notamment ainsi qu’est née la villégiature au Bas-Saint-Laurent. Les gens venaient chez nous pour respirer un air pur ! Plus récemment, la Loi sur le patrimoine culturel définit et protège le « paysage culturel patrimonial », c’est-à-dire certains des éléments de notre environnement caractérisés par l’intervention humaine, mais qui se démarquent par leur beauté ou par une intégration particulièrement réussie. C’est ainsi qu’on peut par exemple admirer le soleil couchant des hauteurs de Saint-Germain-de-Kamouraska avec une vue magnifique sur les champs, l’église du village en contrebas et le fleuve en arrière-scène. Mais vous remonterez rapidement les glaces de la voiture si ces mêmes champs ont été la veille inondés de purin ! Pas fort pour le tourisme. On parle de pollution visuelle. De pollution sonore. Pourquoi pas un concept de pollution olfactive ? Et que pense la Santé publique de cet air vicié qu’on nous force à respirer ?

Je sais, ce débat a fait les manchettes il y a plusieurs années. Il y a eu moratoire. On a modifié les buses qui giclent maintenant au plus près du sol. Mais les odeurs persistent toujours. Et on dirait qu’on accepte maintenant la chose comme une fatalité. Oui, ça pue, mais c’est comme ça. Il faut que les agriculteurs vivent eux autres aussi et les faux ruraux aux narines sensibles n’ont qu’à déménager leurs pénates ailleurs. On est en milieu agricole ici ! Peut-être, mais j’ai personnellement vécu une bonne partie de ma vie en zone rurale et « ce n’était pas de même avant ». L’industrie a eu près de vingt ans pour modifier le tir, trouver des solutions à ce problème, composter ses lisiers.

Malheureusement, ici comme dans bien d’autres domaines, on privilégie le cochon avant l’humain, c’est-à-dire le profit avant la vie. Si dans ce cas ce ne sont que nos narines et notre qualité de vie qui en souffrent, on sait que cette même philosophie est en train de détruire l’ensemble des écosystèmes et du vivant sur cette unique terre qui est la nôtre. Prenez un bon respir et pensez-y !

Pierre Landry, Saint-Alexandre-de-Kamouraska