Le consensus peut être une forme de censure

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Après avoir fréquenté assidûment la région de Kamouraska-L’Islet à titre de villégiateur, alors que mon emploi me retenait à Québec, est venu le moment de s’y installer à demeure en transformant le chalet en résidence principale.

Un modèle d’ailleurs que l’on remarque de plus en plus et qui semble même prendre de l’ampleur. C’est dire que nous avons changé radicalement de mode de vie, en passant de la ville à la campagne avec un bonheur inégalé. Le milieu est évidemment moins animé, notamment au chapitre de l’offre culturelle, mais il est largement compensé par de nombreuses rencontres avec des gens de toutes provenances, favorisant ainsi un horizon social qui s’élargit progressivement. De plus, cette vie en région donne l’occasion de nous engager socialement, tout particulièrement auprès de la communauté immédiate avec qui nous partageons le quotidien. L’échelle des relations est certainement plus humaine et la mesure des enjeux sociaux se prend à la hauteur des personnes qui forment ce milieu. On doit comprendre qu’il s’agit pour nous « rurbains », d’un milieu d’adoption et d’adaptation. On se retrouve du jour au lendemain immergé dans une société dite de proximité où les services offerts le sont tout autant, à vrai dire facilement accessibles. C’est aussi une belle occasion pour le nouvel arrivant de prendre le pouls véritable de la politique locale à travers les structures municipales, c’est-à-dire autant sa municipalité de résidence que la municipalité régionale de comté (MRC) où la gouvernance se pratique au ras des besoins des gens et à travers une multitude de décisions qui détermine la vie au jour le jour, celle partagée par une communauté de personnes et de services.

Climat social

Depuis mon installation permanente en septembre 2017, j’ai fait l’apprentissage de cette nouvelle vie où la convivialité est le maître mot pour décrire ce mode de vie en société afin qu’il soit harmonieux et paisible. Par ailleurs, dans ce contexte, on ne peut évidemment pas être en accord avec toutes les décisions et les orientations qui sont prises. On comprend rapidement que le vivre ensemble exige une certaine dose de discrétion quant aux opinions à partager avec son entourage. Comme dans tout groupe, il y a des tensions liées aux différences de point de vue et aux manières de faire qui ne peuvent pas toujours faire l’unanimité. Pour permettre un climat social viable et même stimulant pour ceux et celles qui sont prêts à s’engager dans leur communauté, on doit assurément mettre un peu, et parfois même un peu plus d’eau dans son vin pour éviter que la dynamique locale ne soit alourdie par le règlement incessant de conflits pourtant inhérents à toute communauté humaine. Tout repose en fait sur la bonne foi de chacun et le désir de rapports francs, mais toujours courtois. D’ailleurs, ce qui me semble assez surprenant c’est que collectivement on y arrive, malgré les oppositions ouvertement manifestées et même des accrochages verbaux qui peuvent parfois blesser les opposants. Tant bien que mal, le consensus devient une nécessité pour atteindre une sorte de paix sociale et de vie communautaire satisfaisante.

Représentativité

Dans le processus consensuel, il y a tout de même une perte sur le plan des idées puisqu’on tente par lui de rallier le plus possible la majorité afin d’atténuer les tensions qui peuvent parfois déchirer une communauté. La règle du dénominateur commun s’applique plus souvent qu’autrement et, à ce moment-là, la collectivité se prive d’idées intéressantes, voire même innovantes, qui viendraient bousculer les modes traditionnels de faire, mais pourraient aussi apporter des solutions pertinentes à des problèmes récurrents au niveau notamment de l’aménagement du territoire, la gestion des ressources, la concentration d’activités commerciales et industrielles, l’offre générale de services, l’environnement, la culture et le patrimoine. Au sein d’un groupe, la conciliation peut certes être pacificatrice, mais en atténuant les antagonismes, elle peut aussi nuire à l’émergence d’idées nouvelles qui pourraient dynamiser un milieu à la recherche d’un équilibre constamment menacé. En effet, le choc des idées est une source énergétique pouvant permettre à tout milieu de trouver des façons originales de résoudre d’inévitables problèmes que pose tout développement. « Du choc des idées jaillit la lumière », dit-on couramment, et c’est pour cette raison que nous proposons que soit institué au sein de nos administrations suprarégionales un poste officiel de contradicteur dont la charge professionnelle serait de recueillir les doléances comme les idées en apparence contradictoires dans la communauté et de les faire émerger sous la forme d’un Rapport annuel qui pourrait même faire l’objet d’une journée-débat ouverte à la population et organisée annuellement. Une sorte d’assemblée contradictoire comme celles qui ont longtemps fait partie de nos mœurs politiques.

À l’image de l’ombudsman, et au même titre que le vérificateur général ou le commissaire à l’éthique dans les hautes sphères gouvernementales, cet individu, à l’échelle locale, aurait le pouvoir et la responsabilité de rappeler aux instances politiques régionales qu’il existe des courants d’idées contradictoires dans la communauté et que plusieurs de ces idées ont le mérite d’être entendus et discutés. On pourra bien sûr me rétorquer que la radio et les réseaux sociaux jouent présentement ce rôle d’échotier des humeurs populaires et qu’ils le font parfois avec plus ou moins d’élégance. Justement, c’est peut-être l’absence même de choc des idées au sein de nos institutions qui provoque sur les ondes et l’internet certains écarts de point de vue souvent contraires à la bonne entente générale. N’étant pas politologue, encore moins spécialiste des modes de gouvernance locale, je ne sais pas si le modèle existe ailleurs. Mais retenons que l’ombudsman est une importation scandinave dont le concept de base est de défendre les droits citoyens face au pouvoir public. Son transfert dans les pratiques politiques locales pourrait, à mon sens, être considéré et peut-être, éventuellement, participer à une meilleure santé démocratique de nos institutions politiques et de notre milieu de vie en général.

Philippe Dubé, Rivière-Ouelle