Le Gentleman arrive à Kamouraska

Ma tante Elga était une vieille femme douce et gentille qui n’aurait pas fait mal à une âme. Et dans une vie de presque neuf décennies, elle ne l’a jamais fait. Mais elle aimait le hockey, un sport qui est pur et dur et clairement pas pour ceux ou celles avec les faiblesses de cœur. Même si elle n’a jamais joué, c’était dans son sang. Et voilà comment elle est tombée en amour avec Jean Béliveau.

Grandir dans la ville de Québec comme le dernier enfant d’une famille de onze, elle a eu quatre frères grands, forts et athlétiques et quatre sœurs.Elga était un peu timide et le petit chouchou de la famille — les photos de l’époque montrent une jolie petite fille aux longs cheveux bruns, avec de grands yeux et un visage doux. Elle s’en alla au collège à Montréal afin de devenir enseignante en 1912. Deux ans plus tard, son frère aîné, Garnet, et beaucoup de ses amis sont allés à la guerre. C’était la dernière fois qu’elle les verrait.

Elga a enseigné à des milliers d’enfants dans la ville de Québec de 1920 à 1955. Durant l’été, elle et sa sœur, Pearle, amenaient leur mère à leur maison à Kamouraska, dès le dernier jour de l’école jusqu’à la fête du Travail. En hiver, Elga enseignait et passait ses temps libres en patinant, en faisant le ski de fond, et en se promenant le long de la terrasse Dufferin devant le Château Frontenac. Quand sa mère est morte à 96 ans à la fin de 1947, le rituel a continué.

Puis, en 1949, un jeune homme est venu à Québec pour jouer pour l’équipe de hockey locale. Son nom était Jean Béliveau.

Cette année-là, il a commencé à jouer pour l’équipe les Citadelles junior et a commencé à se faire un nom. Puis en 1950, il a déménagé avec l’équipe des As de Québec dans la Ligue senior du Québec, et l’équipe est devenue légendaire, à cause de Jean lui-même. Comme sa popularité grandissait, il n’y avait pas assez d’espace pour contenir tous les fans comme ma tante Elga. Donc ils ont construit un plus grand aréna : « La Maison que Jean a construite ».

Finalement, le directeur général du Club de Hockey Canadien, Frank Selke, a convaincu Jean de déménager de Québec pour jouer à Montréal : il a simplement « ouvert le coffre — » pour le payer.

Tout au long de sa carrière, dans le Colisée embrumé des fumées de tabac, ou à regarder la télévision dans son appartement sur La Grande Allée, ma tante Elga a continué d’aimer Jean Béliveau. Mais il n’a jamais su. 

Jusqu’à l’hiver de 1976.

J’ai eu la chance d’interviewer Jean Béliveau à quelques reprises en tant que journaliste étudiant. Comme il l’a fait avec tant de gens, il était un vrai gentleman, toujours me faisant toujours sentir à l’aise. Un jour, je l’ai interviewé durant une demi-heure pour un documentaire que je produisais sur l’élection du Parti québécois, puis j’ai pris un peu de temps avec lui après notre entrevue. Un jour, j’ai eu le courage de lui parler de ma tante Elga, sa plus grande admiratrice.

Je lui ai dit : « ma grand-tante demeure à Québec, a 81 ans et a suivi votre carrière depuis votre arrivée à Québec. Elle vieillit maintenant, mais elle adore le hockey et vous êtes toujours son joueur préféré. Si jamais vous êtes à Kamouraska, si vous souhaitez arrêter même deux minutes, elle en serait heureuse pour le reste de sa vie. »« Eh bien, Andrew, il arrive que j’aille à Rimouski l’été prochain. Je vais arrêter la voir en passant », dit-il.

J’étais stupéfait et ravi. Mais je n’ai rien dit à ma tante Elga à ce sujet. L’anticipation ou la déception aurait pu la tuer s’il n’était pas venu.Le mois de juillet suivant, je l’ai appelé au forum de Montréal afin de m’assurer qu’il se souvenait de son engagement. Il a dit « bien sûr ! C’est dans mon agenda. Je serai là à environ 14 heures, le 21 juillet. »

Le grand jour est arrivé, et je restais devant la maison, tante Elga. Une longue Cadillac bleue est arrivée, a stationné à l’Hôtel en face de notre maison. Un homme en sortit, portant des lunettes foncées et tenant un cigare partiellement allumé. C’était Béliveau. Fidèle à son habitude, il s’arrêta pour jaser avec les deux hommes de livraison de Molson qui étaient très surpris de rencontrer le Gros Bill devant un hôtel à Kamouraska. Jean les a mis à l’aise en parlant de leurs livraisons.

Nous avons échangé des banalités sur son trajet de Montréal, et je lui ai expliqué que ni ma tante Elga ni mon grand-père de 89 ans, n’avait aucune idée qu’il venait.Il monta les escaliers vers la porte d’entrée sur la grande véranda et frappa deux fois. Ma mère a appelé, « Tante Elga, il y a un gentleman à la porte pour vous. » Elle est venue à la porte, regarda le grand homme avec les lunettes foncées. Qui était-ce ? Pourquoi était-il venu la voir ? Il a enlevé les lunettes de soleil et elle a pu voir que devant elle, c’était son idole.

Il se pencha a ses 5 pieds 1 pouce et lui donna un bec sur la joue. Elle a été stupéfaite. Trop abasourdie pour parler, en fait, sauf pour dire, « je ne peux pas le croire ! Je ne peux pas le croire ! »

Quand Le Gros Bill est entré, mon grand-père, un ancien joueur de hockey dans les ligues seniors à Québec lui a donné un copieux « Bonjour Jean ! » Il est resté et a bavardé, et nous lui avons fait visiter la vieille maison. Tante Elga a retrouvé son sang-froid et a commencé à discuter sur les Canadiens, sur la ville de Québec et les vieux jours au Colisée. Mon grand-père a parlé de la pêche et de la chasse, et même de son cousin qui avait gagné la Coupe Stanley dans les années 1900. Et puis, une heure plus tard, Jean devait y aller.

Quand il est sorti avec mon père, tante Elga et moi, une jeune voisine, Claudine Anctil, a traversé la rue avec sa nièce dans une poussette pour rencontrer notre visiteur, encouragé par mon père. Quand elle a été introduite, elle cria « Jean Béliveau – ce n’est pas possible ! » On parle toujours de cette journée comme « Le jour que Jean Béliveau est venu à Kamouraska. » Avant lui dire adieu, nous avons pris une photo de ma petite tante Elga et le grand Jean Béliveau. C’était une photo qu’elle regardait tous les jours sur sa commode, jusqu’à sa morte en automne 1981, peu après son 87e anniversaire.

Près d’une décennie plus tard, j’étais à l’aéroport de Toronto, et Jean Béliveau était assis en face de moi. Je suis allé vers lui et dit : « Jean, vous ne vous souvenez probablement pas de moi, mais…. » Il m’a interrompu : « Oui, je sais que vous êtes le journaliste qui avait une grand-mère — non, une tante — qui avait une maison à Kamouraska. »

« Oui ! C’est ça. » « Comment est-elle ? »« Eh bien, elle est morte, il y a quelques années, mais elle était très heureuse le fin de ses jours, surtout qu’elle vous avait rencontré. »

« Je suis désolé. Une belle vieille dame, et une visite mémorable. » Il a dit qu’il était flatté d’avoir fait quelque chose d’aussi simple pour elle. Puis nous avons bavardé sur les dernières nouvelles de hockey. La conversation a duré environ une demi-heure, quand j’ai entendu l’appel de mon vol, et j’ai dû aller.

« Ce fut un grand plaisir de vous revoir », je lui ai dit. Il a répondu en anglais, « Oui, pour moi aussi. J’espère vous reparler bientôt. Et merci de vous souvenir de moi. »

Je me suis arrêté. Je ne pouvais pas croire ce qu’il avait dit. Il me remerciait de m’être souvenu de lui.

Au fil des ans, nous nous sommes vus fréquemment quand nos chemins se sont croisés – dans les restaurants, aux matchs de hockey, lors des événements communautaires, et une fois au Temple de la renommée du Hockey. Toujours il a parlé avec une telle sagesse et autorité. 

Et chaque fois, il était toujours le même gentleman, comme celui qui venait s’était penché pour donner un bec à la vieille femme qui l’a toujours adoré.

Par Andrew Caddell

Jean Béliveau a toujours son iris dans les jardins de Gisèle
Une statue de Jean Béliveau au Musée des Anciens Canadiens
Gilles Gosselin se rappelle Jean Béliveau
Jean Béliveau occupe une place importante dans la collection de Louis Théberge