Déjà deux étés qu’André-Médard Bourgault crée entre les murs du Vivoir à Saint-Jean-Port-Joli. À 79 ans bien sonnés, le sculpteur sur bois laisse toutefois sous-entendre que cet été pourrait bien être son dernier. Et pourtant, l’artiste n’a jamais semblé aussi inspiré, comme si cet environnement dans lequel il évolue avait provoqué chez lui un nouvel élan créatif.
Installé au rez-de-chaussée, dans l’atelier du coin, celui qui offre la meilleure vue sur le chemin du Roy Est et l’avenue de Gaspé Est, André-Médard Bourgault fait probablement l’envie de ses autres collègues artistes qui ont élit résidence au Vivoir. Au cœur même de l’action de la capitale de la sculpture sur bois, M. Bourgault travaille ses « pièces », pour ne pas dire des œuvres, à la vue de tous, comme c’était le cas de tous les sculpteurs, jadis, à Saint-Jean-Port-Joli.
Son aisance et le respect de la matière dont il fait preuve font honneur à ses prédécesseurs. Ils trahissent aussi ses années d’expérience, au nombre de 60 cette année, lui qui a commencé à sculpter le bois à temps plein à l’âge de 19 ans. « J’ai toujours été appelé par la sculpture », confie-t-il.
On peut le comprendre. Fils de Médard Bourgault — un des trois bérets qui a contribué à la renommée de Saint-Jean-Port-Joli comme haut lieu de la sculpture sur bois avec ses frères Jean-Julien et André – André-Médard Bourgault a toujours baigné dans cet univers, à même titre que son frère Jacques, décédé en 2017. L’atelier de leur père, où a débuté l’École de sculpture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli dans les années 1940, était leur terrain de jeu.
« Chaque pièce que je réalise a une histoire, une légende. C’était pareil pour mon père. Je tiens ça de lui », poursuit André-Médard.
Celui que plusieurs connaissent pour ses sculptures religieuses travaille actuellement trois pièces pour la Cathédrale Saint-Jean-Eudes de Baie-Comeau. L’église, qui possède déjà un chemin de croix réalisé par son frère et son père, a choisi de faire appel à lui pour réaliser Jésus, autour de 2 ou 3 ans, Marie, entre 18 et 20 ans, et sa mère Anne, quelque part entre 40 et 50 ans, qui s’en vont au puits chercher de l’eau.
« On m’a dit qu’on voulait Jésus sans croix, assis sur les genoux de sa grand-mère. Marie, je la vois avec un seau. Et sainte Anne, si jeune, au visage moins austère, ça va vraiment donner quelque chose de traditionnel et de moderne à la fois », s’exclame le sculpteur, emballé.
Ce projet, André-Médard Bourgault le qualifie de « gros coup » pour ses 60 ans de carrière. Un soixantième qu’il devait initialement souligner en participant à la Biennale de la sculpture de Saint-Jean-Port-Joli, annulée cette année en raison de la COVID-19. Cela lui laisse donc plus de temps pour ce projet, mais également pour collaborer avec les autres artistes du Vivoir. « Finalement, c’est un peu ça ma biennale », réfléchit-il, à voix haute.
Parce que depuis qu’il a choisi de s’installer au Vivoir, il n’y a pas de doutes, André-Médard Bourgault « revit ». Un nouvel élan créatif semble s’être emparé de lui tellement ses idées sont nombreuses pour d’éventuelles œuvres, au point où ses collègues artistes, et même lui, ne semblent plus croire que cet été sera son dernier à sculpter le bois.
« L’effervescence qu’il y a ici, je dirais que c’est encore mieux qu’à mes débuts. On était tous sculpteurs, à l’époque, donc peut-être tous un peu pareil. Ici, nous sommes tous différents et c’est ça qui est stimulant. »
Cet environnement créatif hors-du-commun lui a inspiré un projet : réaliser quatre œuvres, quatre jeunes femmes représentant chacune une saison. Chacune de ces pièces doit incorporer un élément travaillé par un autre artiste du Vivoir. Cuir, verre, céramique ou toutes autres matières travaillées par ceux-ci sont donc susceptibles de se marier au bois sculpté de la main d’André-Médard Bourgault pour ce projet, mais également bien d’autres qu’il a en tête.
« Ce que je fais ici, je n’aurais jamais pensé faire ça si j’étais resté chez moi dans mon atelier. J’ai été un mois confiné à cause de la COVID et j’étais impatient de revenir », avoue l’homme de 79 ans, avec la fougue qui rappelle celle d’un jeune artiste à ses débuts.
Autant d’ardeur et de passion qu’on attribue rarement à quelqu’un sur le point de prendre sa retraite. Aussi bien dire qu’André-Médard Bourgault est encore loin du jour où il serra ses gouges. « Je dis toujours que c’est ma dernière année, mais dans le fond, la santé, c’est probablement la seule chose qui pourrait m’arrêter. »