C’était avant le péril jaune (les autobus scolaires…). La petite école numéro 2, à Trois Saumons, était située à quelque dix minutes de marche de chez moi. Au pays des vastes résidences de fermes, avec son toit pointu et son escalier de quatre marches menant à la porte d’entrée sur le côté cour, on aurait dit une maisonnette. Dans l’unique salle de classe, une série de fenêtres laissaient pénétrer tantôt le soleil. tantôt une lumière tristounette. J’avais sept ans et j’étais amoureux de Mlle Boucher. Il faut dire que ma maîtresse de deuxième année était belle et que moi, je rêvais de princesses au visage de madone…
En ce temps-là, dans les écoles de rang, ainsi qu’on les appelait, qu’elles soient situées sur un chemin du haut des paroisses, dans un village ou sur la route principale longeant le Saint-Laurent, les maîtresses d’école (je ne me souviens pas qu’il y ait eu des maîtres) devaient enseigner de la première à la neuvième année, inclusivement.
Mlle Boucher effectuait cette tâche multiple en conjuguant pédagogie et discipline. Elle trouvait en outre le temps et l’énergie pour s’occuper de ce qu’on pouvait appeler des « cas », c’est-à-dire des élèves ayant des difficultés d’apprentissage particulières.
J’étais un « cas », cancre au cube en orthographe. C’était désespérant et de fait, ma mère était désespérée. Rien n’y faisait, j’écrivais au son et, je faussais.
Que faire ? On ignorait, comme on ignore toujours, comment infuser à un nul en épellation un talent dont il n’avait même pas l’ombre d’une amorce. Considérant qu’aujourd’hui l’usage d’une orthographe correcte est mon pain quotidien et que, six ans seulement après avoir été champion en matière de fautes de français, à l3 ans j’écrivais dans mon (premier) journal que je serais écrivain un jour, on comprendra qu’il y a dû se passer quelque chose d’extraordinaire pour que la situation soit ainsi renversée.
Effectivement, un événement – banal de prime abord- fit toute la différence. Non seulement il me sortit de l’ornière des dictées méritant zéro, mais encore est-il qu’il me donna résolument le goût d’écrire. Tout simplement, Mlle Boucher suggéra à ma mère de me donner de jolis crayons et quelques cahiers tout aussi remarquables. Il semblait bien possible qu’à m’amuser avec, je me mettrais à pratiquer l’écriture…
C’était ainsi qu’une fin d’après-midi, en rentrant à la maison, je reçus un cadeau alors que ce n’était ni ma fête ni rien.
La suite, c’est un petit garçon qui prit l’habitude d’écrire le plus souvent possible parce que, comme l’homme qu’il est devenu, il aimait le geste de faire courir la pointe fine d’un crayon sur la page glacée d’un cahier à belle couverture. Ce faisant, il collectionnait les mots nouveaux et apprenait les rouages de l’accord du participe passé et les autres règles de la syntaxe et de l’orthographe.
Aujourd’hui encore je rédige d’abord tous mes textes à la main, et je collectionne plumes et beaux cahiers.
Devenue Mme Dolorès Thériault, Mlle Boucher habite L’Islet-sur-Mer, où je l’ai visitée dernièrement. Aussi jolie que dans mon souvenir, bien sûr elle n’a pas reconnu l’enfant que j’étais mais, par le biais de la photo qui illustre cette chronique, l’adulte que je suis. Quand je lui ai parlé de « la petite école », elle m’a demandé, avec l’expression de quelqu’un inquiet de savoir, si elle n’avait pas été une enseignante trop sévère…
N’ayant de sa discipline aucun souvenir, j’ai constaté alors, une fois de plus, combien c’est le temps et la vie qui choisissent ce que la mémoire retiendra.