MONTMAGNY – Il y a des gens qui adorent ce qu’ils font au point de ne pas penser à la retraite. M. Roger Bernier, chauffeur d’autobus et mécanicien depuis plus de cinq décennies est de ceux-là. Le Placoteux l’a rencontré.
« Je ne pense pas encore à la retraite. Tant que je serai en forme, je continuerai de conduire les autobus et de travailler en mécanique », de dire le chauffeur d’autobus scolaire et de transport général, pour la compagnie bien connue Autobus Montmagny inc.
En plus de faire ce métier avec joie depuis toutes ces années, il a son atelier de mécanique sur le boulevard Taché Ouest à Montmagny, depuis presque aussi longtemps. Avant cela, il avait également été mécanicien pour la compagnie magnymontoise d’autobus durant une quinzaine d’années.
Jeunesse, il a commencé par conduire des déneigeuses et des camions de gravelle de Saint-André-de-Kamouraska à Québec. Ensuite, il a conduit les autobus Boivin (Montmagny) et les petits autobus bleus et blancs qui servaient de transport en commun à Montmagny.
Fait intéressant, il a transmis sa passion de conduire et de la mécanique à son fils Mario qui exerce, comme lui, les deux métiers. De plus, le fils a investi dans l’entreprise familiale de mécanique et son père est en train de lui passer le flambeau.
M. Bernier conduit les jeunes du primaire et du secondaire sur la route 132, entre Berthier et Montmagny. Il l’a également fait sur la 283, jusqu’à Notre-Dame-du-Rosaire et sur le chemin du Golf, où il est d’ailleurs resté pris tout un après-midi durant une tempête.
Pour lui, conduire les jeunes que ce soit il y a 50 ans ou aujourd’hui, c’est semblable. « Il y a certains endroits où c’est un peu moins facile », dit-il en souriant, mais il réussit à maintenir l’ordre. Il doit assurer la sécurité et le respect de tous les passagers, comme l’exige la Commission scolaire de la Côte-du-Sud (CSCS).
Décorum à bord
À cette fin, la CSCS fournit des fiches de rapport aux manquements, dont une copie doit être remise à la direction de l’école, aux parents, au service de transport et lui-même en conserve une. Les infractions se déclinent en 17 articles : onze mineures et six majeures.
Les premières concernent, entre autres, la ponctualité des élèves aux arrêts et la sécurité au bord des chemins et à bord. La conversation doit aussi être discrète et l’on ne tolère pas de langage vulgaire ou injurieux. Il est interdit de faire du bruit – le silence doit être absolu à l’approche d’un passage à niveau et, bien sûr, c’est non-fumeur dans l’autobus. Sauf dans des cas spéciaux, il est interdit d’embarquer des planches à roulettes, skis et même des instruments de musique de grande envergure.
La deuxième catégorie est plus sérieuse. Elle concerne la violence physique ou verbale, et toute forme d’intimidation, qu’elle soit réelle ou électronique, les bris et les mécanismes de secours et la consommation de drogues ou d’alcool. Toutefois, M. Bernier, avec sa longue expérience avec les jeunes, utilise plutôt rarement les mesures disciplinaires de dernier recours.
Dès la rentrée scolaire, il énonce les règles. Les jeunes savent à quoi s’en tenir. « N’attendez pas que je me lève, leur dit-il alors, si ça arrive c’est qu’il est trop tard! » Mais avant de passer au « mémo » en quatre copies, il a son petit calepin, où il inscrit le nom des regimbeurs. Une sorte de sursis. Et d’habitude tout va bien. Les jeunes sont généralement sympathiques.
Anecdotes
Le chauffeur d’expérience raconte bien entendu quelques anecdotes, comme celle de son voyage à Mont-Joli avec les Pee-Wee. « Il faisait assez méchant temps qu’on a été là trois jours », raconte-t-il. « Les enfants étaient logés dans les maisons ici et là. Mais quand ça été le temps de partir, comme ils s’étaient fait des amis, alors on ne s’est pas pressé pour repartir. »
Il en a roulé des milles et des milles depuis toutes ces années. « Je ne les ai pas comptés », dit-il.
En plus des écoliers, Roger Bernier a mené des gens en pèlerinage à Saint-Anne-de-Beaupré, « mais ça, c’est pas mal moins populaire qu’avant », mentionne-t-il, sourire en coin. « Oui, de renchérir Le Placoteux, maintenant on va au Casino… » [rires].
À une époque [années 1960], on allait aussi à L’Oratoire Saint-Joseph. M. Bernier faisait également des voyages de pèlerinage à Lac-Bouchette et des voyages touristiques dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie (Matane).
En 1967, revenant de l’Expo universelle de Montréal avec des Fermières, il fait une crevaison, alors qu’il menait un voyage pour Prévost Car. La chaleur est intense et le « jack » s’enfonce dans l’asphalte; il doit redescendre le véhicule. Patenter quelque chose sur une planche. Il a beau être mécanicien, forcer comme un damné avec une longue tige de fer, pas moyen d’enlever la roue qui est coincée.
« À 11 h du soir, ça n’allait pas bien », de dire le chauffeur Bernier. Pendant ce temps-là les passagères jasent avec des badauds. Environ une heure plus tard, c’est un homme fort, un employé de la voirie, costaud comme un Louis Cyr, « il devait peser 250 – 300 livres », de dire M. Bernier, qui, en un tournemain dévisse les écrous et les dépanne. La jasette allait bon train, si bien que l’arrêt a duré un plusieurs heures. Il s’est même échangé des adresses, paraît-il…
« En 67, j’ai monté les étudiants de Casault aller-retour pendant plusieurs jours ». Malheureusement, le valeureux chauffeur n’a pas vu grand-chose de l’Expo. Pendant que les étudiants visitaient, il fallait qu’il se repose, pour les ramener en toute sécurité le soir venu. « Et le lendemain matin, à 6 h, je repartais », se rappelle-t-il.
Il a affronté des tempêtes de neige, Québec-Rimouski, pour Autobus Voyageur, sur la 2 (132), pas d’autoroute, au début des années 1970.
« Allant au Lac-Saint-Jean, j’étais avec un groupe. Un camion remorque (van) d’essence a eu un accrochage. En accrochant, il a viré sur le côté dans la cour d’une maison. Le chauffeur a débarqué à la course, défoncé la porte de la maison – c’était sur l’heure du souper – et il a fait sortir l’homme, la femme et les enfants. Et là, la maison a pris en feu. Il les a tous sauvés. J’ai dû attendre dans un restaurant un bon quatre heures avant de repartir. Le temps que ça soit apaisé et qui rouvrent la route ».
Une autre fois, revenant du Grand théâtre de Québec, en pleine tempête de neige, avec la troupe Hallélou à bord, l’autobus est resté pris dans le tronçon de Saint-Vallier (route 132), près du pont de la rivière Boyer, durant toute une nuit, tout le monde dormant à bord .
« Vous savez, j’aime conduire et j’aime le monde », de conclure M. Bernier qui, encore bien alerte, nous a ensuite fièrement montré l’autobus qu’il conduit : un beau grand jaune Mercedes.