C’est la semaine dernière, le 4 novembre 2019, qu’a débuté la commission parlementaire portant sur le projet de loi n° 40. Des élus comme moi, tout comme les commissions scolaires qu’ils représentent et défendent avec passion, sont appelés à disparaître d’ici la fin de la présente année scolaire.
Dans le texte qui suit, j’aimerais partager mon point de vue de manière à alimenter de façon constructive la réflexion sur la gouvernance scolaire.
Je crois bien connaître le monde de l’éducation; j’y œuvre depuis plus de 30 ans. Au fil des années, j’ai été comme parent membre de comités d’école, de conseils d’établissement, membre et présidente du comité de parents, parent représentant le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, puis vice-présidente de la Fédération des comités de parents du Québec, commissaire-parent et, depuis 2007, présidente de la Commission scolaire de Kamouraska–Rivière-du-Loup, membre de comités nationaux et de la Fédération des commissions scolaires du Québec. À ce titre, je peux affirmer que la réforme proposée est non seulement discriminatoire pour les francophones; elle se traduira par moins de représentativité, moins d’autonomie des régions et encore plus d’inégalités.
Cette réforme soulève nombre de questions d’autant plus qu’elle ne repose sur aucune étude sérieuse. Quant aux intentions réelles du ministre de l’Éducation, M. Jean-François Roberge, elles sont toutes, sauf clairement dévoilées.
Je comprends les parents, les médias, tout comme la population de ne pas trop savoir quoi en penser. On se retrouve davantage devant une promesse électorale plutôt qu’un projet réfléchi, une promesse qu’on veut réaliser à n’importe quel prix, mais qui n’améliorera en rien notre système public d’éducation. Cela risque même d’être tout le contraire. Cela ne sera qu’un grand brassage de structures.
Permettez-moi d’établir un parallèle avec la réforme en santé. Je connais bien cette réforme pour l’avoir vécue de l’intérieur comme infirmière. Ce que j’en ai retenu, c’est que ce sont le personnel, la clientèle et l’accès aux services qui ont été grandement touchés. Etque dire de la perte de décision de proximité, de la centralisation des pouvoirs. De cela, bien des personnes au Kamouraska peuvent en témoigner.
Je crains que la réforme en éducation soit encore plus insidieuse, surtout lorsque le ministre de l’Éducation parle de fusion de services, voire même de fusion de centres de services.
Cette réforme est une atteinte directe au pouvoir des régions, à leur volonté de se développer eux-mêmes à moyen et à long terme.
Me reviennent en tête les rencontres que nous avons eues au début des années 2000 en lien avec le premier plan stratégique de la Commission scolaire de Kamouraska–Rivière-du-Loup. Lors des consultations, les élus municipaux ont souligné l’importance de protéger les petits milieux, de permettre aux grands de pouvoir s’épanouir pleinement. Ils ont aussi mis en perspective ce que je crois comme essentiel, se définir soi-même plutôt que de se laisser définir par les autres, par des gens d’ailleurs qui n’ont aucune idée des enjeux, des réels besoins de chacun de nos milieux.
Jusqu’à maintenant, notre commission scolaire a toujours bien répondu à ces besoins.
Les exemples de partenariat en témoignent avec force.
La démocratie scolaire est beaucoup plus qu’une structure, une structure qui s’additionne aux autres paliers de gouvernement. Elle est une institution politique à part entière, locale et décentralisée, dynamique et autonome, qui harmonise les actions entre le préscolaire, le primaire, le secondaire, la formation professionnelle, l’éducation des adultes, la formation continue et le service aux entreprises. Par les décisions prises au conseil des commissaires, la commission scolaire participe aussi activement au développement de nos communautés en mettant de l’avant nombre de projets rassembleurs, bien plus, porteurs d’avenir.
Je suis toujours fière de voir une ou un collègue prendre la parole pour informer, pour faire part des besoins et des attentes, pour prendre la défense des gens qu’elle ou qu’il représente, les parents et leurs enfants, les écoles et les centres qui se retrouvent dans sa circonscription. La population n’a aucune idée de toute l’expertise que les élus scolaires ont acquise au fil des années. Ils ont une connaissance pointue de leur milieu. De concert avec les conseils d’établissement, le comité de parents et le comité ÉHDAA de la commission scolaire, les membres du conseil des commissaires travaillent aux bénéfices de tous les élèves, jeunes et adultes, s’assurant du partage équitable des ressources et de l’équité des services sur l’ensemble du territoire.
En un mot, ils font la différence.
Bien entendu, nos décisions ne sont pas parfaites, parfois même elles peuvent porter à la controverse, mais c’est au moins nous qui, collectivement, les prenons, pour nos élèves, pour les parents, pour chacune de nos communautés, pour l’ensemble de nos citoyens et citoyennes. Comme gouvernement local, comme élus scolaires, nous rendons compte à l’ensemble de la population de notre territoire.
La démocratie scolaire ne demande qu’à s’améliorer et nous voulons agir en ce sens.
On dit souvent qu’il faut plus qu’un village pour élever un enfant.
D’après moi, il faut beaucoup plus que cela. Il faut des gens convaincus qui ont à cœur l’éducation publique, des personnes élues démocratiquement qui font de la réussite de chaque élève la pierre angulaire de chacune de leur décision, et ce, quel que soit l’établissement qu’il fréquente.
Dans nos sociétés occidentales, la démocratie ne cesse de s’effriter.
Le projet de loi n° 40 vient fragiliser cette démocratie élective. Le gouvernement actuel, en abolissant le conseil des commissaires et la commission scolaire, fait disparaître un contrepouvoir, ce qui est un non-sens dans une société qui mise sur la diversité des points de vue, le partage des pouvoirs et des responsabilités.
Ce devrait être tout le contraire!
Le ministre de l’Éducation devrait faire preuve de vision en consolidant les assises démocratiques pour le mieux-être de sa population. Au lieu de s’approprier encore plus de pouvoir, il devrait s’attaquer aux enjeux réels de l’éducation. Nous, les élus scolaires, nous avons besoin de son support dans des dossiers tels que la persévérance scolaire, le soutien aux élèves en difficulté, la pénurie de personnel, la valorisation du personnel enseignant, de tous les gens qui œuvrent à la réussite de nos élèves.
Après plus de trente ans d’engagement en éducation, j’ai l’impression que la majorité des gouvernements n’écoutent pas ce qui vient de la base. Ce que l’éducation a surtout besoin, ce n’est pas d’un autre brassage de structures, de réformes tous azimuts, mais de stabilité. Elle a besoin qu’on fasse davantage confiance à l’expertise de tous ceux et celles qui la façonnent au quotidien dans chacun des milieux.
N’aurait-il pas été plus logique d’améliorer le système actuel, de le bonifier afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle, ce qui aurait permis de sauver temps et argent, et ainsi de s’attaquer encore plus efficacement aux enjeux de réussite de tous nos élèves? Pourquoi défaire ce qui fonctionne bien?
Espérons que le bon sens prendra le dessus sur cette réforme qui, force est de constater, va dans tous les sens, sauf le bon, la réussite des élèves.
En terminant, j’invite la population à prendre connaissance du mémoire qui sera présenté en ce mercredi, en commission parlementaire, par le Regroupement des commissions scolaires du Bas-Saint-Laurent, le Regroupement des commissions scolaires de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et le Regroupement des commissions scolaires de la Côte-Nord.
Le temps nous est compté.
La démocratie scolaire, ce n’est pas l’affaire que de quelques élus, mais bien de toute la population, de toute notre belle et grande région dont je suis particulièrement fière; une population qui désire conserver son pouvoir d’autodétermination, j’en suis certaine.
Edith Samson, présidente de la Commission scolaire de Kamouraska–Rivière-du-Loup