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Passion goélettes pour Francis Ouellet

MONTMAGNY — Natif de L’Islet-sur-Mer, pays de navigateurs et patrie du célèbre capitaine Joseph-Elzéar Bernier, Francis Ouellet, a grandi au bord du fleuve. Il aurait bien aimé naviguer, comme son père qui l’a fait durant plusieurs années, montant jusque dans le Grand Nord québécois, mais sa santé l’en a empêché. Qu’à cela ne tienne, il a fait contre mauvaise fortune, bon cœur, et a mis tout le sien dans sa passion : construire des maquettes de bateaux.

Dès son enfance il est tombé « dans la potion », comme il dit, s’intéressant aux bateaux, qu’il voyait passer sur le fleuve, situé juste au bout de la cour de la maison familiale. Il a construit son premier modèle réduit vers l’âge de 10 ou 12 ans. « Quand j’ai commencé mes premiers bateaux, j’achetais des ‘kits’. Le premier que j’ai monté c’était une Blue Nose, une B-16, en bois, que j’avais achetée chez Bateau Leclerc. »

« Quand j’étais jeune, je voyais les bateaux de fer passer. Je savais qu’un bateau de bois pouvait flotter, mais un en fer… Je me demandais bien comment ça pouvait flotter », de dire ce personnage à la curiosité insatiable.

Il a alors entrepris de se documenter sur les savoirs et les savoir-faire de la construction navale et, bien sûr, sur l’histoire maritime, en particulier celle du Québec. Cela l’a évidemment mené beaucoup plus loin que juste découvrir des principes de flottabilité. Un univers s’ouvrait à lui. Et il le fréquente encore allègrement. M. Ouellet est « habité » par tout ce qui concerne le monde maritime.

Sa passion du modélisme l’a amené à fabriquer des navires, entre autres, des cargos et des paquebots. Récemment, il s’est mis à la construction du célèbre paquebot Normandie. Mais, ce qu’il aime davantage, depuis une « dizaine ou une quinzaine d’années », c’est la construction de maquettes de goélettes. À son actif, il en a maintenant six.

Comme tout bon maquettiste, il reproduit à l’échelle, à l’aide de plans. M. Ouellet dit d’ailleurs en avoir en sa possession une bonne centaine. Il fabrique toutes les pièces de ses bateaux.

Attraction touristique

Avec humour, Francis Ouellet dit qu’il est devenu une « attraction touristique » pour L’Islet. Bien que son petit atelier soit situé dans le tambour de son logis, il lui arrive souvent, l’été, de travailler dehors.

Sans doute, le majestueux Saint-Laurent et les beaux paysages qu’il voit l’inspirent. Lorsqu’il travaille dans son arrière-cour : « Les gens au camping me voient travailler; ou même le monde du village. Ils viennent me voir. On jase. Les gens aiment bien ça. Ça fait que je continue à faire des bateaux. Et tant et aussi longtemps que je serai en forme, je continuerai d’en faire », de dire avec engouement le maquettiste de 45 ans.


Le mythique Titanic, dans son salon

Archives bien garnies

Ce passionné de bateaux a des archives bien garnies. Il documente tout ce qu’il fait, de diverses façons et, chose intéressante, il a interviewé dans anciens capitaines et navigateurs pour affiner ses connaissances. Il connait sur le bout des doigts les détails techniques et l’histoire de chacun des bateaux, de chacune des goélettes, reproduits ou auxquels il s’est intéressé. Il a amassé une mine d’informations.

Juste pour les goélettes, il mentionne : « J’ai tout amassé : les dates de construction, les baptêmes, les naufrages, les catastrophes et la construction, bien entendu. Tout ça jusqu’au déclin des goélettes », dont l’utilisation a pris fin au tournant de 1970.

Ses archives personnelles contiennent des photos, vidéos, enregistrements de témoignages de navigateurs et de constructeurs, entre autres. Une riche documentation sur les « voitures d’eau », de la rive nord et de la rive sud du Saint-Laurent, en particulier du secteur de l’île aux Coudres – La Malbaie, jusqu’à l’île d’Orléans et au-delà.

Il rappelle aussi que plusieurs goélettes ont été construites dans notre région. À Montmagny : « L’Emmanuelle. C’est la plus grosse goélette qui a été construite là. En 1929. Elle a été refaite en 1956 à Petite-Rivière-Saint-François. Elle a terminé ses jours sous le nom de Prince Québec », mentionne-t-il.

La nomenclature de M. Ouellet, pourrait se poursuivre sur plusieurs lignes. Il a également parlé d’autres chantiers navals, dont celui de L’Islet, dont il conserve une photo du dernier bateau à y avoir été construit, en 1909.

Le chiard blanc

« Ha! Bien là vous me faites penser à quelque chose! », de s’exclamer Francis Ouellet. C’était toute une fête le chiard blanc sur les goélettes de L’Islet le dimanche, après la grand’ messe. « C’est un ancien capitaine qui m’a raconté », dit-il. « Le monde allait à la pêche sur le quai après la messe. Il fallait même réserver sa place. Le quai était plein à la grandeur! ».

Il continue : « Puis – je sais plus si c’est sur l’heure du dîner ou du souper –, on allait sur n’importe quelle goélette. On était bien reçu. Et ça mangeait du chiard blanc. C’est de là que vient le surnom des gens de L’Islet : ‘les chiards blancs’ », dit-il en riant. Lard salé, oignons, patates, le tout mijoté dans l’eau, voilà la recette. Pas plus compliqué que ça, économique et bien nourrissant.

De nos jours, on a un peu sophistiqué le mets, y ajoutant parfois de gros morceaux de morue, et même du poireau. Mais ça, c’est pour les « fancys », comme qui dirait. Encore aujourd’hui certaines personnes perpétuent ce « patrimoine immatériel » culinaire. Curieusement, l’on ne trouve nulle part dans les restaurants de L’Islet le chiard si identitaire de cette communauté.


Francis Ouellet, derrière sa maquette du quai de L’Islet et de la goélette M. P. Émilie, présentés à l’occasion d’une activité de la Corporation des arts et de la culture de L’Islet, en 2009. (Photo  : Tommy Lavoie, Archives Le Placoteux)

Diffuser les connaissances

Francis Ouellet se considère comme un « gardien d’une tradition », qui, même si elle est aujourd’hui disparue, fait toujours partie de notre patrimoine maritime, qui gagnerait à être connu. Bien qu’il ait déjà participé à quelques expositions, il aimerait que l’on s’intéresse davantage à son travail. Il aimerait diffuser ses connaissances, ses photographies, ses plans; montrer ses maquettes et autres. « Une belle exposition d’envergure », dit-il, « ce serait très bien », ne dissimulant pas son enthousiasme.

Il suggère aussi d’autres voies de diffusion : la production de calendriers, dans le genre « Le quai de L’Islet au temps passé » (2011), dont il a été l’un des instigateurs. « J’ai du matériel pour en produire plusieurs », mentionne-t-il. Il ne dit pas non aux conférences. Il est à la disposition de quiconque voudra sérieusement collaborer avec lui. « Je ne veux pas et ne peux pas faire ça tout seul », lance-t-il. « Le patrimoine maritime je trouve qu’on est en train de l’oublier. C’est pour ça que je veux faire une exposition, entre autres, sur les goélettes », dit-il, ajoutant, en parlant de sa collection : « Peut-être qu’un jour je lèguerai tout ça, mais pas encore. »

Alors qu’on se le dise, Francis Ouellet, passionné des goélettes, veut diffuser ses connaissances. Il espère que ceux et celles qui se sentent concernés par le patrimoine maritime, qu’ils se trouvent dans le réseau officiel des Musées ou ailleurs, entendront sa voix. Il suffit de vouloir un peu sortir des sentiers battus.