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Place aux lecteurs: Des anciens « aux barricades »

Réaction à l’article paru le 14 février 2011 sur LePlacoteux.com : « Le Collège vend son Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ».

C.C. :  Mme Christine Saint-Pierre, ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Le Soleil

D’abord, j’aimerais dire que j’appuie entièrement les propos de monsieur Gaston Deschênes, parus dans Le Placoteux (« Une autre vente de feu »), dénonçant la mise en vente par le Collège de Sainte-Anne de son exemplaire de l’Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers de Denis Diderot (1713-1784) et Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783), la première encyclopédie française.

Ayant été l’un de ceux, parmi les anciens, à être « montés aux barricades » – comme le mentionne, dans l’article du 14 février, madame Martine Dubé directrice générale du Collège – lors de la mise en vente de leur collection de tableaux à l’automne 2007, j’aimerais rappeler que la direction du Collège aurait peut-être dû revoir la notion du terme « patrimoine », puisqu’à sa réaction, et lors de la vente desdits tableaux et lors de la mise en vente récente de l’Encyclopédie Diderot, elle ne semblait pas la connaître.

Pour rappel, j’évoquerai une définition générale du terme : « Ce qui, transmis par les ancêtres, est considéré comme l’héritage d’un groupe : Le patrimoine culturel, artistique d’un pays. » (Grand Larousse) De façon plus précise : « Le patrimoine culturel est constitué de personnages, de lieux et d’événements historiques, de documents, d’immeubles, d’objets [d’art et autres] et de sites patrimoniaux, de paysages culturels patrimoniaux et de patrimoine immatériel. […]

Document patrimonial : selon le cas, un support sur lequel est portée une information intelligible sous forme de mots, de sons ou d’images, […] qui présente un intérêt pour sa valeur artiste, emblématique, ethnologique, historique, scientifique ou technologique. » (Projet de loi no 82. Loi sur le patrimoine culturel, MCCCF, 2010).

Et enfin la définition qu’en donne l’UNESCO : « Patrimoine culturel : le patrimoine culturel dans son ensemble recouvre plusieurs grandes catégories de patrimoine [notamment], le patrimoine culturel matériel [et en sous-catégorie] : le patrimoine culturel mobilier (peintures, sculptures, monnaies, instruments de musiques, armes, manuscrits…) ». Alors, les ouvrages anciens en font indéniablement partie !

Monsieur Deschênes rappelait, dans sa lettre, que le Collège est une institution privée, administrée par une corporation. Certes, mais qui a été largement financée depuis sa fondation par les gens de la Côte-du-Sud, de même que par les deniers publics. Alors, à mon sens, cette institution devrait être en partie redevable à l’ensemble de la population de la région, puisqu’elle en fut également un maillon important de son histoire et de son développement.

Posons la question suivante : que serait aujourd’hui Sainte-Anne-de-la-Pocatière si le Collège n’avait jamais été créé par l’abbé Charles-François Painchaud en 1827? Il est des plus probable qu’il n’y aurait pas eu la création de la première École de l’agriculture au Canada (aujourd’hui l’Institut de technologie agroalimentaire), fondée par le supérieur du Collège, l’abbé François Pilote, en 1859; ni la création d’une importante Ferme expérimentale fédérale en 1910 (dont les installations ont été reprises par Centre de développement bioalimentaire du Québec); ni l’installation d’un évêché (1951); ni surtout la création du Cégep (1969).

Alors, est-ce que la ville se serait autant développée sur divers autres plans, dont le secteur industriel?

Est-ce que même Bombardier y serait aujourd’hui, après avoir acheté en 1971 les installations de l’entreprise Moto-Ski, créée par monsieur Charles-Eugène Bouchard au début des années 1960? Il est bien légitime d’en douter. Alors, pour toutes ces raisons, je considère le Collège, mais également les collections qu’il possède – et possédait! –, comme étant une partie importante du patrimoine et de La Pocatière et de la Côte-du-Sud, et la population doit en être vraiment fière! Alors, il est donc important de réagir.

Mais voilà, les collections de tableaux (donnés en bonne partie par des anciens et surtout des bienfaiteurs et qui aurait dû être déposés au Musée François-Pilote), de livres anciens, de mobilier domestique et religieux (semble-t-il) ont été dispersées…! Et bientôt, l’Encyclopédie Diderot (qui aurait dû simplement être déposée aux Archives de la Côte-du-Sud et du Collège de Sainte-Anne) sera également vendue. Pourtant, toutes ces pièces avaient été précieusement et fièrement conservées par toutes ces générations d’administrateurs, de directeurs (supérieurs et recteurs), de professeurs et d’archivistes qui ont précédé l’équipe actuelle.

Plusieurs de ces anciens, les abbés Boulet, Lebon, Bélanger, Gagnon, Tanguay, Léveillé, Anctil, pour n’en nommer que quelques-uns, seraient sûrement découragés par les récentes décisions de la direction, alors que d’autres institutions, telles que le Séminaire de Québec, ont eu l’intelligence de conserver intacte l’ensemble de leurs collections, cette dernière institution les ayant déposées au Musée de la civilisation.

Selon les quelques recherches que j’ai été en mesure de faire, contrairement à ce que madame Dubé mentionne dans l’article, ni la bibliothèque de l’Assemblée nationale ni celle du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine ne conservent les volumes de l’édition originale, mais plutôt ceux de la 3e édition (1777-1779). Et le pire, et ce qui est important dans cette affaire, ce que, de prime abord selon mes vérifications, il n’y aurait pas d’autres bibliothèques québécoises qui conserveraient vraiment la collection complète de l’édition de base, « dite de Paris », en 35 volumes (1751-1780), soit : 17 volumes de texte, 11 volumes de planches, 4 volumes de Supplément, 2 d’index et 1 volume de supplément de planches.

Je terminerais enfin en posant cette autre question : si le Collège a tant besoin d’argent qu’il en est à vendre ses diverses collections, que faudra-t-il qu’il vende encore par la suite pour suivre? Car, de l’extérieur, c’est ce que ces « ventes de feu » laissent grandement paraître !

La Corporation du Collège n’aurait-elle pas dû sonner l’alarme bien avant, au lieu de se départir de son patrimoine mobilier?

Espérant sincèrement que d’autres encore réagiront, des anciens du Collèges comme des administrateurs d’organismes publics, car le non-respect de notre passé hypothèque certainement notre avenir…

La présence de la première grande encyclopédie française dans un collège classique n’était-elle pas fort révélatrice de l’importance de l’affirmation et de la sauvegarde du fait français au Canada (valeur emblématique)?

Denis Castonguay
Un ancien du 148e cours