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Projet de contrôle du phragmite à l’île aux Gruesrichard_lavoie20141217

MONTMAGNY – Le biologiste Benoit Gendreau a travaillé cette année, à l’île aux Grues, à un projet visant à tester sur des parcelles de terre données, un mécanisme pour contrôler le phragmite. L’on veut régénérer les périmètres en replantant des plantes indigènes et ainsi ramener la biodiversité végétale d’origine afin de favoriser, entre autres, la présence d’espèces d’oiseaux au statut précaire qui nidifient dans ces prairies singulières de l’estuaire d’eau douce. 

Les interventions ont été effectuées sur de petites parcelles de terre acquises par Conservation de la Nature Canada, région de Québec, sous la supervision du biologiste responsable du projet, Patrice Laliberté. Mentionnons que c’est aussi cet organisme qui a réalisé, avec l’appui du milieu, la réserve naturelle Jean-Paul Riopelle, située à l’ouest de l’île.

Le projet

L’intérêt envers le haut marais de l’île aux Grues ne date pas d’hier. « D’autres organismes s’y sont aussi intéressés. C’est le cas de Canards illimités en 2005-2006-2007. À l’époque, les foyers d’infestation avaient été relevés », de mentionner Patrice Laliberté. Conservation de la nature Canada a pris la relève.

Ainsi, récemment, l’organisme a acquis trois propriétés représentant une trentaine d’hectares. « Le haut marais fait environ 500 hectares », de préciser M. Laliberté.

« Nous avions observé la présence du phragmite. Il y en avait un peu partout. Un travail réalisé par Benoit Gendreau a été de le localiser et de voir l’envergure de l’envahissement », mentionne-t-il.

« Ce milieu naturel est important pour certaines plantes. Quelques espèces, comme la cicutaire de Victorin et la gentiane de Victorin [unique au monde à cause de son étroite niche écologique] sont des espèces uniquement présentes dans l’estuaire d’eau douce et sur les îles. Cela nous a amenés à nous intéresser à ce milieu. »

Aussi, plusieurs espèces d’oiseaux dits « en situation précaire », comme le bruant de Nelson, le goglu des prés, le râle jaune et le hibou des marais, pour ne mentionner que ceux-là, utilisent pour se reproduire et se nourrir dans cette grande prairie humide.

Tout cela a motivé l’organisme à mettre de l’avant son projet de contrôle du phragmite qui menace l’environnement naturel vital de ces espèces.

« En février 2014, j’ai fait l’inventaire des colonies de phragmites à l’île aux Grues, de mentionner Benoit Gendreau. Depuis 2006, on est passé de 40 à 120 colonies. Cela représente environ une douzaine d’hectares occupés par le roseau ». L’envahisseur se propage et la chose peut également devenir problématique pour les agriculteurs dans une décennie ou deux.

Technique de contrôle

Sur des espaces expérimentaux restreints, on a coupé les roseaux, puis labouré minimalement le périmètre. M. Gendreau a disposé des bâches (géomembranes) recouvertes de sacs de sable pour les fixer. « Il est interdit par la loi d’appliquer des pesticides en milieu humide », de spécifier le biologiste.

Alors on utilise ces membranes « pour étouffer la colonie. Avec la solarisation, la chaleur en dessous augmente tellement que tout ce qui est dans le sol – racines, micro-organismes –, tout va mourir. Et quand on retire la membrane, après un an, un an et demie, on réensemence le site avec des graines de plantes indigènes pour renaturaliser le secteur », explique-t-il.

La toile a été installée au début septembre 2014. Les chercheurs verront au printemps si elle aura passé l’épreuve de l’hiver.

L’ennemi

Le phragmite, roseau commun exotique, est passé d’Europe au Québec. « La plus ancienne colonie de ce roseau d’origine eurasiatique a été recensée en 1916, dans la région de Chaudière-Appalaches […] près du village de L’Islet, non loin du fleuve », mentionne le biologiste Claude Lavoie de l’Université Laval, dans la revue Le naturaliste canadien (2007). Il s’est surtout propagé le long des berges du Saint-Laurent, mais depuis les années 1970-80 son avancée est spectaculaire. Il a également envahi des milieux humides, perturbant l’écologie.

« La construction du réseau des routes à partir de 1960, a favorisé des habitats qu’il aime et créé des corridors qui ont permis qu’il s’étende par ses graines », de mentionner Benoit Gendreau. Ses rhizomes sont aussi fort prolifiques.

Il s’est immiscé à l’intérieur des terres, au grand dam des agriculteurs qui voient souvent leurs fossés d’irrigation envahis et qui doivent le combattre. Heureusement pour eux, « le roseau résiste plus ou moins bien aux labourages et aux applications d’herbicides utilisés dans la gestion courante des mauvaises herbes », lit-on dans l’ouvrage déjà mentionné. Cependant, les engrais azotés et les sels de déglaçage, entre autres, sont ses alliés.

Une terre laissée sans soins durant quelques années pourra devenir son domicile. C’est d’ailleurs ce qui arrive dans les grandes prairies de l’île aux Grues. Le « foin de mer » étant moins récolté qu’auparavant, cela favorise l’envahissement.

Aussi, ici sur le continent, un immense périmètre des battures à l’ouest du quai de Montmagny est maintenant envahi. Tout comme c’est le cas à l’est de l’ancien quai à Cap-Saint-Ignace, dans le haut marais.

« Il y a une espèce indigène au Québec, mais il n’est pas envahissant comme le roseau commun », de dire le biologiste. Dans plusieurs régions, le roseau indigène, qui compte plus de 3 000 ans d’existence, a été éradiqué par la compétition de l’exotique envahisseur. Les deux espèces ne s’hybrident pas.

Il compétitionne aussi les quenouilles, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour l’environnement, puisque ces dernières filtrent plus de matières polluantes en milieu humide.

Les colonies de cette plante mesurant de 2 à 4 m de hauteur peuvent être de grande envergure et sont toujours très denses, si bien qu’elles étouffent les autres espèces végétales.

De plus, les phragmites ne favorisent la nidification des très peu d’oiseaux, d’où l’importance du projet de l’île aux Grues pour les biologistes. « L’archipel de l’Isle-aux-Grues est un secteur prioritaire », de mentionner le responsable du projet, Patrice Laliberté. Les résultats sont donc attendus avec espoir.