Je me rappelle très bien ce petit matin où, à la noirceur, ma conjointe, son fils et moi étions cachés dans notre tente. Dès les premières minutes de clarté, un mâle avait répondu à mes appels et s’approchait d’un pas décidé en glougloutant énergiquement. Quel spectacle allait s’offrir à nous! Installés aux premières loges, nous voulions tous être témoins de l’arrivée imminente de ce mâle provenant du boisé situé derrière notre tente, où l’oiseau n’avait pas pu nous voir. En fait, ce matin-là j’avais installé la tente dans l’obscurité, une bonne heure avant le lever du soleil. Tout excités, nous avions pris place dans la tente et tout semblait bien se dérouler. Le fils de ma conjointe, alors âgé de 9 ans, s’était étendu au sol et finalement rendormi. Nous étions bien cachés et aucun bruit suspect ne trahissait notre présence. Bien entendu, lorsque le mâle a commencé à répondre et à progresser vers nous, nous avons discrètement réveillé Gabriel pour qu’il ne manque rien. Nous étions tous aux aguets, car le mâle était rendu juste derrière nous. C’est là que j’ai réalisé mon erreur : j’avais oublié de nettoyer le sol de la tente. Le bruissement créé par le moindre petit mouvement de notre part, si infime soit-il, était tout à fait perceptible par le mâle. Nous venions de fournir à ce superbe mâle coiffé de deux barbes une raison suffisante pour prendre la poudre d’escampette. À la course, il a traversé le champ d’une largeur de 100m situé tout près de nous. Tout de même très réceptif, il a commencé à parader de l’autre côté sans relâche pendant près d’une heure. Les bruits suspects l’avaient apeuré, mais son instinct de reproduction lui dictait de continuer à courtiser sa belle à distance.
C’est face à une telle situation apparemment sans issue que mes connaissances sur la chasse de l’orignal ont été mises à profit et que j’ai réalisé le bon coup qui suit. Cela faisait presque une heure que ce mâle répondait à tous mes appels, tout en demeurant à plus de 130 m de distance dans une petite clairière située à 30m du champ dans lequel je me trouvais. Sachant fort bien qu’il ne s’approcherait pas à portée de tir, j’ai décidé d’aller à sa rencontre. Je suis sorti de la tente en pénétrant immédiatement dans le boisé pour qu’il ne me voie pas. Arpentant parallèlement la bordure du champ à une trentaine de mètres en retrait, j’ai pu me rapprocher très silencieusement de lui et pénétrer dans un boisé très dense. Rendu sur place, je devais trouver une cachette où je pourrais bien me dissimuler et obtenir quelques options de tir. Une fois adossé à un arbre assez gros pour cacher ma silhouette, j’ai commencé à appeler. La réponse du mâle a été instantanée. En fait, deux d’entre eux sont arrivés en même temps. Le deuxième était bien celui qui avait franchi le champ à la course. Avec ses deux barbes, il était facilement reconnaissable. En ayant compris le message de ce mâle qui refusait obstinément de venir à portée de tir après l’erreur que j’avais commise plus tôt, le stratagème d’aller vers lui et de l’entraîner dans un milieu dense a fonctionné à merveille. Vous savez, la chasse au dindon ressemble beaucoup à la chasse à l’orignal à l’appel. Le moindre petit détail mal exécuté peut tout ruiner et il faut sans cesse analyser la situation. C’est en contrôlant des petits détails comme ceux expliqués ici qu’on peut tirer son épingle du jeu.