MONTMAGNY – Quelle ne fut pas notre surprise de rencontrer, le 10 février, à la bibliothèque de Montmagny, lors de la présentation du résultat des recherches patrimoniales de la Ville portant sur l’accordéon diatonique et du concert improvisé à cette occasion, M. Antoine Leblanc, grand amateur de musique traditionnelle et inconditionnel du Canadien de Montréal. Il méritait bien une entrevue particulière.
M. Leblanc est d’origine acadienne. Il est né le 7 février 1913 à Rogersville au Nouveau-Brunswick. Il est le cadet d’une famille de dix enfants. Depuis deux ans, il demeure à la résidence Domaine du Lotus de L’Islet, après avoir été Magnymontois à compter de 1948. C’est avec un sourire resplendissant et son ineffable sens de l’humour que le vénérable plus que centenaire nous a accueillis.
Son village d’origine, situé non loin de Miramichi, a été nommé ainsi, autour de 1880, en l’honneur de l’évêque catholique James Rogers. « À l’époque on était bien du monde à Rogersville. Maintenant, c’est juste si il y a un prêtre », de dire en riant M. Leblanc. Il ne sait pas s’il est parent avec la populaire chansonnière Lisa Leblanc, originaire de Rosaireville, un hameau rattaché à Rogersville, mais ça ne serait pas surprenant.
Jusqu’à il y a trois ou quatre ans, il retournait faire un tour dans son village natal. C’est que M. Leblanc a conduit sa voiture jusqu’à l’âge de 98 ans! (ça vaut bien un point d’exclamation). « Maintenant tous mes frères et mes sœurs sont morts, alors ça fait une secousse que j’y vais plus », mentionne-t-il, en montrant aussi sa marchette qu’il trouve encombrante : « Si j’avais pas eu ça, j’y serais encore allé », lance-t-il, sourire en coin.
Le travail, les amours
À 14 ans, il arrêta l’école après sa sixième année. Ensuite, le travail l’amène à se déplacer à plusieurs endroits. Comme bien des gens, à cette époque, il a trimé dur. Quand il était jeune, il a même « jumpé » les trains pour aller travailler à l’extérieur de son village. Il a fait la récolte des patates à Grand Falls, « au Grand Sault », comme il dit, dans le Maine. Il a bûché. « J’ai aussi travaillé dans les cookeries de chantier… J’ai fait toutes sortes d’affaires », ajoute-t-il. Dès l’âge de 16 ans, il va dans le bois, sur la Côte-Nord.
À la suite d’une blessure à la hache à une jambe, un de ses frères le fait entrer dans un moulin à scie. « J’enlevais l’écorce des arbres. Ça, c’était dans le temps de la Crise. Dans les gros chantiers… On gagnait rien! », s’exclame-t-il.
En avril 1935, « tanné d’aller dans le bois », il est parti pour aller travailler à Québec, où se trouvait de la parenté, dans une manufacture de textile près des chutes Montmorency (La Montmorency Cotton Manufacturing Company). « Dans le temps de la Guerre [2e Guerre mondiale], on était 2500 qui travaillent là », fait-t-il remarquer. M. Leblanc n’a pas été à la guerre, « déclassé » à cause d’une fracture qui lui avait handicapé un bras. « J’étais bien content de ne pas y aller! », lance-t-il en riant.
C’est là qu’il a connu sa première femme. « Je m’étais dit que je sortirais pas avec elle. Ben je l’ai marié, maudit! », de lancer M. Leblanc en nous faisant bien rire.
Mme Évangéline Gagné était domestique dans une maison privée près de la Montmorency Cotton. Elle a finalement elle aussi travaillé à la manufacture. Il l’a mariée en 1937, à Sainte-Apolline-de-Patton, village des parents de sa femme. Elle est décédée quelques années plus tard.
En 1947, il déménage à Montmagny pour venir travailler dans une autre usine de textile bien connue, « la Shop de soie ». Il a pris sa retraite en 1978. Il a même connu le grand-père du journaliste qui y tenait la cantine et que certains taquinaient en l’appelant « Bob la sandwich », souvenir qui nous a tous fait éclater de rire.
C’est à Montmagny, en 1957, qu’il s’est marié pour une deuxième fois avec Mme Madeleine Robin, décédée du cancer, il y a moins de trois ans. Il n’a pas eu d’enfants.
La musique et la danse
Et, il jouait… de la musique à bouche, le soir dans les chantiers, les samedis, les dimanches. « Vous savez, dans les chantiers, quasiment tous les gars jouaient de la musique », ajoute-t-il.
« J’ai joué beaucoup. J’ai joué pour faire danser. Pour le plaisir. Partout où j’allais, je jouais. J’ai arrêté ça fait quelques années. Mais de temps en temps je joue encore des airs », continue-t-il. « Vous faisiez ça pour plaire aux gens?», de lui demander le journaliste. « Je ne sais pas si je plaisais aux gens, mais en tout cas je jouais », de lancer le sympathique centenaire, provoquant une fois de plus l’hilarité générale. « J’ai aussi en masse dansé, mais j’étais pas trop bon danseur » (autres rires).
D’ailleurs, il est encore un fervent amateur de musique traditionnelle et sort à l’occasion dans les bals, avec sa nièce et M. Mario Boucher, lui-même un joueur d’accordéon reconnu dans notre région, qui était aussi là lors de l’entrevue. « De temps en temps on a des musiciens qui viennent jouer de l’accordéon ici. Mario vient jouer » dit-il, mais l’on voit qu’il aimerait certainement qu’il y en ait davantage.
Poisson et p’tite bière
Est-ce là le secret de sa longévité? En tout cas, cet homme de petite taille, encore alerte, plein d’humour, de bonté et de simple joie de vivre, aimant s’amuser et regarder le hockey – surtout le Canadien – et la lutte, est un grand mangeur de poisson.
Au moins deux fois par semaine il en mangeait avant d’entrer en résidence. Il aimerait en manger plus. Et il prend encore sa « p’tite Molson » à chaque jour. Mais c’est bien certain que la santé tient à plus que cela.
Au moment de quitter M. Leblanc, la visite débarquait chez lui. C’était beau de voir ces quatre personnes de sa parenté venues spécialement de Québec pour une sortie en famille. Ils allaient, entre autres, aller dans un restaurant de Montmagny… manger du bon poisson.

