Depuis au moins 15 ans qu’on entend parler que le « patrimoine funéraire » est malmené et menacé, il ne semble pas que les choses se soient beaucoup améliorées. Historiens, ethnologues et autres intervenants sonnent l’alarme sur le dépérissement de beaucoup de ces lieux de mémoire. C’est tout le Québec qui est touché et notre région n’y échappe pas. D’ailleurs, une déclaration pour la sauvegarde des cimetières a été produite, la semaine dernière, en conclusion du 8e Colloque sur l’avenir des cimetières, qui avait lieu à Québec les 31 octobre et 1er novembre.
À l’occasion de ce colloque, organisé par la Fédération Écomusée de l’Au-Delà, en collaboration avec la Société québécoise d’ethnologie (SQE), l’ethnologue Jean Simard de Saint-Roch-des-Aulnaies, spécialiste en patrimoine religieux et funéraire, a pris la parole.
Avec lui, une quinzaine d’autres intervenants venant de divers horizons ont fait part de leurs expériences, mais aussi pour réfléchir à des solutions possibles. En tout, une quarantaine de personnes sont venues des quatre coins du Québec.
L’ethnologue Jean Simard de Saint-Roch-des-Aulnaies
Lieux de mémoire
Aux yeux de M. Simard, et de tous les intervenants, les cimetières ont une grande valeur historique, sociale et même artistique, puisque l’on trouve dans ces lieux, dont certains sont aménagés et paysagés, des œuvres d’art exceptionnelles, et aussi l’expression de l’art populaire.
Jean Simard donne pour modèle le cimetière de Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, qui est considéré « comme un modèle; comme l’un des plus beaux cimetières ruraux du Québec » et, bien qu’il soit bien entretenu, n’est pas classé.
L’ethnologue souligne qu’il faudra, un jour, faire un inventaire systématique des cimetières du Québec. Cela n’est pas encore prévu dans la nouvelle Loi sur le patrimoine québécois, entrée en vigueur en octobre 2012.
Témoins de nos modes de vie
À Montmagny, l’on trouve, entre autres, des croix moulées, en fonte, parfois identifiées à la célèbre fonderie Bélanger. « Les cimetières sont les témoins de nos modes de vie », de faire remarquer l’ethnologue.
Ces croix sont d’ailleurs situées dans l’un des plus anciens secteurs du cimetière souffrant des affres du temps. Il aurait été intéressant de savoir si la fabrique protège ce périmètre, mais cela n’a pas été possible.
Laisser dépérir les cimetières, enlever les stèles des concessionnaires qui n’ont pas payé pour l’entretien du lot familial depuis un certain nombre d’années est inconcevable, pour M. Simard.
Il dit toutefois comprendre que plusieurs fabriques en arrachent financièrement. « Le déclin de la pratique religieuse et l’autorisation de la crémation par l’Église en 1963 ont eu pour effet d’appauvrir les fabriques. […] La clientèle des cimetières aurait chuté de 30 % », mentionne-t-il dans son allocution d’ouverture du colloque.
Dans l’ancienne partie du cimetière de Montmagny des monuments simples, mais de valeur, auraient besoin de soins.
Prêcher dans le désert?
L’on se rappellera l’émoi qu’avait causé l’enlèvement de 150 stèles funéraires au cimetière de L’Islet, à l’automne 2011, parce que les concessionnaires ou leurs apparentés n’avaient pas payé les frais d’entretien des lots.
Toujours dans l’allocution, M. Simard, mentionne que ce « grand ménage » a été, d’une certaine façon, le déclencheur de l’état d’urgence qui a mené vers le colloque qui s’est tenu à Québec la semaine dernière.
À cet endroit, la fabrique n’avait pas les moyens d’agrandir son cimetière. « Celles qui peuvent agrandir le terrain d’inhumation, dit-il en entrevue, n’ont pas nécessairement ce problème. Comme à Saint-Jean-Port-Joli, par exemple, où l’on a ouvert un nouveau lieu de sépulture et où l’on entretient bien l’ancien cimetière. »
Mais, ce n’est pas partout comme ça. L’on voit souvent les parties les plus anciennes de cimetières en état de délabrement. Récemment, à Berthier-sur-Mer, pour nommer un autre cas connu, la fabrique a fait paraître dans le journal municipal, ainsi que dans un hebdomadaire, un avis public afin de retrouver quelque 50 propriétaires ou parents de lots « abandonnés ». Un grand écriteau avait également été installé à l’entrée du cimetière à cette fin. Là aussi des stèles on été enlevées, mais n’ont pas été conservées, d’après ce qu’on en sait.
Il faut savoir que bien que les monuments funéraires appartiennent à la famille, ce n’est pas le cas du terrain qui est concédé par les fabriques pour un certain nombre d’années. Les baux emphytéotiques varient entre 25 ans et 99 ans. Le repos éternel n’est donc pas assuré si vos descendants ou parents s’éparpillent aux quatre vents ou sont tous décédés et n’assurent plus l’entretien du lopin de terre.
Mais ce qui suscite des craintes, souligne M. Simard, c’est de lire que l’Assemblée des fabriques du Québec, de concert avec celle des économes diocésains, mentionne dans son guide de gestion que : « Il faut rappeler que la mission propre des cimetières est de disposer des restes humains dans le respect de la foi chrétienne et du rite catholique romain et non pas d’assumer, aux frais de la communauté paroissiale la conservation d’ouvrages commémoratifs érigés au bénéfice du concessionnaire de lot, fussent-ils d’intérêt artistique, historique ou culturel. »
« La fabrique, peut-on encore y lire, doit agir avec grande prudence dans le cas de conserver ou de détruire les ouvrages funéraires qui deviennent siens à l’expiration du contrat de concession […] Celle-ci « doit évaluer, en concertation avec le service diocésain concerné, l’intérêt historique ou artistique des ouvrages et la réaction des paroissiens à leur conservation ou à leur destruction. » Est-ce que cela est mis en pratique? Cela est une autre question.
La déclaration
Afin d’assurer l’avenir de ce patrimoine, la déclaration portant sur l’avenir des cimetières, propose, entre autres, de placer ceux en difficulté sous la responsabilité des municipalités, en collaboration avec les propriétaires ou les gestionnaires. Elle recommande aussi de créer un fonds d’entretien en fiducie dédié à la protection des cimetières et des ouvrages funéraires.
On peut la lire en entier au http://www.ecomuseedelau-dela.net