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UNE PART D’ÉTERNITÉ

Le soleil ravivait la brume laissée par les dernières pluies. Nous avions roulé pendant plus de 45 minutes depuis un hameau de quelques maisons, lui-même situé à plus d’une demi-heure du dernier village. La route serpentait au pied des arbres d’une forêt dense, mais au sol dégagé, ce qui permettait à notre regard de pénétrer dans la forêt entre les troncs multipliant les ombres. Nous n’avions jamais connu un décor aussi émouvant: superbe à couper le souffle en même temps que dramatique, inquiétant dans son bain de silence, fascinant dans sa luxuriance.

Nous étions en Corrèze (France) et avions déjà visité, à Turenne, les vestiges d’une forteresse qui date de 1300; au Saillant, les berges de la Vézère quand elle coule sous le vieux pont de pierre qui a connu Mirabeau; à Argentat,  les rues étroites, dans lesquelles le temps s’est arrêté depuis cinq siècles.

En somme, notre passion touristique était déjà comblée; mais nos amis de Brive-la Gaillarde nous avaient prévenus :

— Vous n’avez rien vu si vous n’êtes allés aux Tours de Merle. 

Des tours, on en avait vu tant et tant : à Curemonte, au château de Pompadour, à  Rocamadour…

Cet après-midi-là, pourtant, il nous a semblé vivre une première. Il devait être autour de trois heures. La fatigue de la conduite sur une route en lacet allant par monts et par vaux, entre des paysages qui sont parmi les plus beaux de France, nous avait plongés dans un état léthargique où rien, nous semblait-il, ne pouvait nous atteindre, nous émouvoir vraiment. En fait, nous étions repus, l’esprit amorphe.

Puis, le miracle. Qu’on a d’abord pris pour un mirage. Du fin fond d’un ravin, des tours de pierres noires, encerclées, et même assaillies, par une épaisse végétation qu’elles parvenaient à vaincre pour trouver place au soleil, montaient vers nous. Dressés sur un éperon rocheux, à défier le temps, les restes, imposants, d’un château-forteresse du Xlle  siècle, s’offraient à notre vue comme une image de synthèse.  

Ce qui m’a interpellé plus encore que ce tableau dantesque lui-même, ce fut le voyage dans le temps où je fus entraîné. Un retour en arrière de 11 siècles ! J’étais,  en juin 2008, sur les lieux d’une autre époque, l’époque médiévale, celle des chevaliers, des princesses et des troubadours, comme un voyageur de ce temps reculé débouchant à Saint-Geniez-à-Merles après une longue chevauchée.

Un écrivain fameux a écrit qu’il est des minutes qui valent une éternité : je m’en suis approché aux tours de Merles.