Vingt-cinq ans de lutte contre la violence faite aux femmes

L’ISLET – Événement plutôt rare, la maison d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants, le Havre des femmes, a accueilli le journal dans sa maison de L’Islet. Vingt-cinq ans après sa création, l’organisme fait le point sur les services offerts et sur la situation de la violence faite aux femmes.

Le Havre des femmes compte cinq chambres et peut accueillir une dizaine de personnes en ajoutant les lits pour les enfants. « L’an dernier, l’organisme a hébergé 44 femmes et 27 enfants pour un séjour moyen de 25 à 30 jours », mentionne Christiane Leblanc, agente de liaison. Il s’agit d’une hausse comparativement aux deux dernières années où le nombre d’hébergements avait diminué. « On a déjà accueilli jusqu’à 70 femmes », s’empresse d’ajouter Mme Leblanc.

Depuis 25 ans, le Havre a hébergé plus de 2 200 femmes et 1977 enfants. Les budgets de l’organisme, presque subventionnés entièrement par le gouvernement du Québec, ont connu une hausse graduelle depuis cinq ans. Le budget pour 2008-2009, frôle les 628 000 $.

Ambiance familiale

Dans une chambre aux murs orangés, l’intervenante Linda Morissette est debout près de l’un des quatre lits que l’on y retrouve. Des vêtements empilés dans un panier d’osier, une brosse à cheveux et des lunettes soleil déposées sur une table nous font prendre tristement conscience que la chambre est occupée. Et pourtant, on n’y sent ni l’empreinte de la violence ni celle de la peur. Des tableaux ornent les murs. Le soleil entre par les fenêtres.

« La vie au Havre s’apparente en fait à celle que l’on retrouve dans une maison normale », raconte Mme Morissette. D’ailleurs, l’endroit a bien plus l’allure d’une maison que d’un centre d’accueil. Néanmoins, les femmes doivent respecter certaines règles, s’intégrer au sein du groupe et participer à des ateliers, ajoute Mme Morissette. « On fait des rencontres avec les femmes; on les fait travailler sur l’affirmation, on les amène à exprimer leurs besoins », dit-elle.

Horrore

De grands pans de mur bleu ciel entourent le local où Marie Laberge, une autre intervenante, raconte qu’il est essentiel d’amener la femme à cesser de se sentir responsable de ce qui lui arrive. À l’aide d’un schéma, elle explique les différentes étapes qui entourent un geste de violence : le climat de menaces marquées par la peur, l’agression, la justification, le sentiment d’impuissance. Mme Laberge amène les femmes à dessiner la voix de leur inconscient, celle qui les dénigre, avec le personnage d’Horrore.

Marie Laberge travaille pour le Havre depuis 23 ans. Elle estime que la situation est sensiblement la même – le nombre de cas qui se retrouve devant la justice a toutefois diminué, selon Statistiques Canada – sauf que la moyenne d’âge des femmes qui arrivent au centre est plus basse. « Lorsque le Havre a ouvert ses portes, il n’était pas rare d’accueillir des femmes qui avaient 30 ans de mariage derrière elle », raconte l’intervenante. Selon Mme Laberge, les statistiques sont les mêmes chez les adolescentes que chez les adultes.

Les enfants

La résidence compte une vaste salle de jeu pour accommoder les enfants. « On travaille avec eux et la mère, nous voulons assurer la sécurité de l’enfant, répondre à ses besoins et aussi outiller les mamans avant leur départ », résume l’Intervenante jeunesse Anne-Marie Carlos-Bélanger. Pas question de dénigrer le père, dit-elle. Selon Mme Carlos-Bélanger, il est clair que la violence a des impacts chez les enfants. D’ailleurs, « les services qui leurs sont destinés se sont accrus », souligne Marie Laberge.

Le Havre est situé à L’Islet dans un endroit dont on veut protéger le plus possible la confidentialité. C’est une question de sécurité pour ses occupantes. « Il est déjà arrivé qu’un conjoint se présente ici pour voir sa femme », signale l’agente de relations extérieures, Andrée Pelletier. En dépit des mesures prises pour que les résidentes soient en sûreté, la maison est cordiale. On pourrait même parler d’une ambiance familiale.

Des services externes

Outre les services à l’intérieur de la maison d’hébergement, le Havre des femmes offre une gamme de services externes, comme le précisent Danielle Miron et Madeleine Gagnon. Les femmes auront accès à de l’accompagnement, du suivi, des consultations. Depuis six ans, le Havre a des points de services dans plusieurs municipalités, notamment dans L’Islet-Sud.

« On fait des cafés-rencontres, un party de Noël, des activités de plein air », lance Danielle Miron. Le Havre publie même un petit journal pour les femmes qui ont été hébergées : L’Exception-Elle. Même le menu a pris un virage santé, ajoute Madeleine Gagnon.

Optimisme

Difficile pour le moral de côtoyer chaque jour des femmes qui vivent de la violence? « Il faut rester optimiste », répond, souriante, Linda Morissette. « Il y a beaucoup de plaisir dans la maison d’hébergement, on rit beaucoup », lance Andrée Pelletier. Marie Laberge trouve stimulant de travailler au Havre. « On voit des résultats immédiatement », dit-elle.

Aline – non fictif – a effectué deux séjours au Havre. Que dirait-elle aux femmes? « Gardez espoir! Des fois tu es dans un trou noir, n’oublies pas qu’il y a toujours une sortie quelque part. Il faut demander de l’aide, ne pas se gêner ni avoir honte, ne pas rester isolée et aller vers les gens. On peut s’en sortir. »

La matinée se termine. Le Havre retrouve son anonymat, sa quiétude, quelque part à L’Islet. Demain, peut-être même aujourd’hui ou cette nuit, une femme, les yeux rougis, y trouvera refuge. Et pour elle, ce sera peut-être le premier pas vers l’espoir, vers la lumière, celle du soleil qui se glissera, discrète, à travers les lames d’un store pour lui rappeler que de l’autre côté de la fenêtre Aline et d’autres femmes comme elle qui ont vécu la violence, sont là et sourient.