Du 100 M$ annoncé par le ministre Lionel Carmant, l’association kamouraskoise en santé mentale La Traversée craint qu’il ne reste pas grand-chose pour les organismes communautaires. De cette enveloppe non récurrente, seulement 10 M$ leur sont dédiés.
L’essentiel des sommes annoncées par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux le 2 novembre dernier doit servir à désengorger la liste d’attente des personnes désirant rencontrer un psychologue dans le réseau public. Le chiffre rapporté par Radio-Canada au début octobre fait état de 16 000 personnes sur cette liste au Québec, pour une attente moyenne allant de six à 24 mois.
Le ministre Carmant a donc appelé le secteur privé en renfort afin de réduire cette liste de façon importante. Cette entente engloutit cependant le tiers du budget, 33 M$, que le gouvernement souhaite étirer jusqu’en mars 2022. 20 M$ doivent ensuite être investis dans la création et l’implantation « d’équipes sentinelles », projet-pilote développé dans la foulée du déraillement ferroviaire de Lac-Mégantic en 2013, question d’établir un meilleur contact avec les personnes vulnérables qui n’ont pas développé le réflexe de se tourner vers les ressources d’aide disponibles.
« Peut-être y a-t-il là (les sentinelles) quelque chose d’intéressant qui pourrait être rattaché à un organisme comme La Traversée, bien que nous n’ayons aucune certitude de ce côté », explique la directrice générale de La Traversée, Éliane D’Anjou.
10 M $
Dans les faits, seulement 10 M$ sur l’enveloppe de 100 M$ annoncée ont été annoncés pour les organismes communautaires œuvrant en santé mentale, une somme non récurrente qui doit permettre à ceux-ci de mieux soutenir leurs actions en ces temps de pandémie. Or, environ 400 groupes communautaires se reconnaissent comme œuvrant en santé mentale au Québec, selon Anne-Marie Boucher, responsable des communications et de l’action sociopolitique au Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec.
Pour Éliane D’Anjou, aussi bien-dire qu’il ne restera pas grand-chose de ce 10 M$ une fois que l’enveloppe aura été distribuée. « Comme c’est de l’argent de crise qui n’ira pas au-delà du printemps 2022, peut-être serons-nous en mesure d’engager quelqu’un pour un contrat d’un an ? Mais il aurait été préférable qu’on nous annonce une aide récurrente qui nous aurait permis de consolider nos équipes de travail en bonifiant leurs conditions de travail actuelles », a-t-elle déclaré.
À titre d’exemple, elle rappelle que ses intervenants, tous diplômés et spécialisés dans leur domaine respectif, ont habituellement un salaire de départ de 15 $/h, une hérésie quand on compare à ce qu’ils pourraient gagner dans le réseau public. Grâce aux différents fonds d’urgence mis en place par les gouvernements dans le cadre de la pandémie, elle a été en mesure d’augmenter ce taux à 17,25 $. Si la majeure partie de ce 100 M$, aussi temporaire soit-il, est destinée principalement au réseau public, Éliane D’Anjou craint perdre ses intervenants, chose qui est déjà arrivée par le passé, alors que les besoins ne vont pas en diminuant au sein de son organisme depuis le début de la crise de la COVID-19.
« Chez nous, il n’y a pas de liste d’attente. Quand quelqu’un en crise cogne à notre porte ou nous appelle, il y a toujours quelqu’un qui répond. Nous sommes un service de première ligne », rappelle-t-elle.
Première ligne
Ironiquement, le ministre Carmant disait pourtant souhaiter que les personnes en détresse soient davantage soignées en première ligne plutôt que par des psychologues ou des psychiatres, comme c’est le cas actuellement à hauteur d’environ 70 %. Selon lui, cette proportion doit être inversée.
Le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec est aussi de cet avis et prône une démarche plus préventive que curative. Le problème de cette approche, souvent mise de l’avant par les organismes communautaires, est la difficulté à quantifier les résultats obtenus auprès des gouvernements.
« Comment tu justifies, dans un rapport comptable annuel, l’effet de l’entraide dans la vie de quelqu’un qui, autrement, aurait pu passer à l’acte ? » demande Anne-Marie Boucher.
Pour que la prévention puisse prendre la place qui lui revient, elle suggère donc qu’on la sorte d’une logique comptable et qu’on fasse davantage confiance aux organismes communautaires dans leur capacité d’intervenir, en les finançant à la mission. La clé, elle estime qu’elle se trouve dans un meilleur balancement des budgets entre le public et le communautaire. En agissant en amont, le gouvernement aiderait non seulement à désengorger le réseau public, mais il donnerait aussi davantage de pouvoir aux communautés en leur permettant de mieux cibler les champs d’intervention prioritaires, conclut-elle.