Qui, au Kamouraska, se rappelle — ou même sait — que la rivière Kamouraska s’appelait autrefois la rivière aux Perles parce qu’on y trouvait, comme dans plusieurs des rivières de la rive sud du Saint-Laurent, de grosses moules d’eau douce qui fabriquaient, à l’occasion, des perles roses ?
La rivière Kamouraska, avec ses nombreux petits affluents, dont la rivière Goudron, à l’est, et la rivière Dufour, à l’ouest, traverse dix municipalités et charrie vers le fleuve, sur une longueur de 40 kilomètres, la grande partie du réseau d’eau du territoire du Kamouraska, soit plus de 300 kilomètres carrés. Elle fournit l’eau potable à Saint-Pascal et Kamouraska ; elle nous offre, entre autres merveilles, plusieurs moulins patrimoniaux et ses mythiques Sept-Chutes !
L’eau, c’est bien connu, coule en descendant et ramasse tout sur son passage : c’est pourquoi, pour désigner ce système sanguin qui maintient en vie la terre qu’on habite, on parle désormais de « bassin versant ». Des comités volontaires d’usagers de l’eau de chaque bassin tracent un plan de gestion de l’eau dont l’application est malheureusement laissée à la bonne volonté de tous.
Mais pourquoi les moules perlières ont-elles disparu ?
La réponse simple, mais troublante, c’est la pollution de la rivière par l’érosion, les contaminants résidentiels, industriels, forestiers, agricoles qui ne cessent d’augmenter, et en fin de compte, le déboisement de ses rives. On estime qu’une bande riveraine arbustive de 10 mètres et un drainage adéquat est nécessaire pour filtrer les contaminants provenant du bassin. Il suffit d’observer l’arrivée de la rivière Kamouraska au fleuve, à la sortie-est du village de Kamouraska, pour constater qu’il n’en est rien. La réglementation sur les bandes riveraines, bien qu’incluse dans le Schéma d’aménagement de la MRC depuis 2017, n’est toujours pas en application dans les municipalités du Kamouraska, sauf à quelques endroits stratégiques. De plus, la bande riveraine est réduite à trois mètres pour les agriculteurs, ce qui est nettement insuffisant ; ils n’en réclament pas moins des compensations pour la perte d’espace cultivée.
La réponse plus fascinante, c’est que les moules perlières sont des filtreurs redoutables : chacune d’elles peut filtrer 50 litres d’eau par jour et elles métabolisent 90 % des matières en suspension, y compris les pesticides, les nitrates et le phosphore des engrais agricoles — c’est déjà plus que suffisant pour les tuer. Mais il y a plus. Comme elles ne peuvent pas bouger, pour se reproduire, leurs œufs fécondés par le sperme flottant des mâles doivent se coller aux branchies des saumons et des truites pendant 10 mois avant d’être éparpillés un peu partout. Sauf que depuis les années 1970, la pollution de l’eau a fait fuir les truites et les saumons, et même les éperlans. La colonie de moules perlières s’est donc éteinte faute de se reproduire. C’est un secret bien gardé, mais il paraît qu’on en a retrouvé quelques-unes récemment dans la partie protégée de la rivière Ouelle ! Comme quoi on pourrait peut-être encore réparer le mal. Mais depuis la fin des années 1990, l’apport de nitrates et de phosphore provenant des fumiers, engrais chimiques et surtout des lisiers de porcs est tel que tout le système sanguin de la terre kamouraskoise est en état de dépassement de sa capacité de support de nitrates et de phosphore, et donc, en état de mort aquatique : on appelle ça l’eutrophisation des cours d’eau, c’est-à-dire leur vieillissement et leur mort prématurée et provoquée. D’où les algues et la turbidité.
Et la prochaine victime sera notre eau souterraine, celle de nos puits artésiens, car les nitrates descendent dans le sol d’environ un mètre par année. Adieu perles roses ! Adieu poissons ! Adieu eau vivante et pure ! Adieu terre vivante !