À peine quelques jours après le lancement d’une consultation publique en vue de l’élaboration d’un troisième plan de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale déposait le projet de loi 70.
Ce projet de loi viserait à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi créant ainsi le programme Objectif emploi. Ce programme obligerait les personnes qui effectuent une première demande à l’aide sociale de participer à un plan d’intégration à l’emploi qui pourrait comporter différentes mesures comme la recherche intensive d’un emploi, l’acquisition de compétences et l’obligation d’accepter un emploi jugé convenable par le gouvernement du Québec. En guise de motivation, une bonification de 250 $ sera offerte. Mais à l’inverse, selon les dires du ministre, à défaut de respecter les obligations de ce plan, ce montant serait annulé et suite à un deuxième refus, une pénalité pouvant aller jusqu’à la moitié de la prestation d’aide sociale de la personne en question pourrait être appliquée.
Et si c’était vous?
Ce projet de loi est bâti sur la peur, entretient les préjugés envers les personnes prestataires de l’aide sociale et contrevient au droit fondamental de disposer d’un revenu décent. Selon Anaïs Giroux-Bertrand de la Corporation de développement communautaire du KRTB, il est faux de penser que l’on vit bien sur l’aide sociale. Présentement, une personne seule reçoit 616 $ par mois. Ce montant ne couvre même pas la moitié des besoins de base d’une personne. Dans le cadre du programme Objectif emploi, une personne qui demande pour la première fois de l’aide sociale doit accepter, indépendamment de sa situation personnelle, de ses compétences, de ses aspirations ou de la distance, un emploi jugé convenable. À défaut de quoi, suite au deuxième refus, cette même personne pourrait voir diminuer ses prestations. Et si c’était vous, accepteriez-vous de vivre avec moins de 600 $ et de ne pas être en mesure de couvrir vos besoins de base? Ou d’accepter un emploi indépendamment de votre situation ou de vos compétences et qui ne réussira pas nécessairement à vous sortir de la pauvreté? C’est une atteinte à la dignité.
L’approche punitive du Programme Objectif emploi entretient le préjugé que les personnes assistées sociales préfèrent ne pas travailler et n’offre pas de réelle solution pour sortir les personnes de la pauvreté. Comme le souligne le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, « Les préjugés sont […] très forts envers les personnes en situation de pauvreté, plus spécifiquement les prestataires d’un programme d’assistance sociale, qu’on taxe souvent d’être incompétents, irresponsables, profiteurs et paresseux, sans même connaître leur réalité. De nombreuses études démontrent pourtant que l’immense majorité d’entre eux souhaite intégrer le marché du travail, mais que de nombreux obstacles systémiques les en empêchent ».
Est-ce réellement une mesure pour l’intégration au travail?
Les expériences antérieures ont démontré que les mesures obligatoires pour le retour à l’emploi n’ont pas produit de résultats significatifs. Forcer les personnes sans tenir compte de leur situation et de leurs besoins dans un programme, ne les aidera pas davantage à retourner sur le marché de l’emploi.
Il est à noter que, de manière volontaire, un adulte prestataire d’aide sociale sur trois entreprend déjà des démarches dans le but de se réinsérer sur le marché du travail. Ce n’est donc pas un manque de volonté.
Selon la Coalition Objectif Dignité, si Objectif emploi réussi peut-être à faire diminuer le nombre de prestataires, il ne réussira certainement pas à avoir un impact sur le nombre de personnes vivant dans une situation de pauvreté. La mesure est donc clairement punitive et les économies, estimées à 50 millions par le ministre, se feront sur le dos des moins bien adapté au marché du travail.
Anaïs Giroux-Bertrand, CDC DU KRTB