La charte des régions des Libéraux : Des mots, mais pas de pouvoirs

Dominique Anglade.

« Plus de pouvoirs aux régions. » « Moins de paternalisme, plus de régionalisme. » « Moins de mur à mur, plus de sur mesure. » « Un changement de culture : le réflexe région. »

Une romance de plus sur les régions. Une simple question : Mme Anglade, connaissez-vous la différence entre une déconcentration administrative et une décentralisation politique?   En effet, ce que nous propose cette pompeuse Charte des Régions, ce n’est pas une décentralisation politique, soit un transfert de pouvoirs et de ressources aux élus régionaux (qui n’existent d’ailleurs pas!), c’est une déconcentration administrative, soit un transfert de l’administration gouvernementale régionale en région, et encore, à petite dose.

La pièce maîtresse de cette supercherie, c’est la création d’un Secrétariat du gouvernement dans chaque région, dirigé par un sous-ministre rattaché au bureau du premier ministre, une sorte de succursale ou de « concession » du gouvernement en région. Mme Anglade ne se souvient sans doute pas que, suite au BAEQ en 1968, on avait créé des Conférences administratives régionales (CAR) qui réunissaient justement les intervenants des différents ministères en région et qui dialoguaient avec les nouvelles structures régionales de l’époque, à savoir, les Conseils régionaux de développement (CRD) d’abord, ensuite les Conférences régionales des Élus (CRÉ) créées par Charest et abolies par Couillard. Trouvez l’erreur!

Il n’existe donc plus aucune structure de gouvernance régionale officielle, sauf celle que se donnent volontairement les préfets de MRC d’une région. Il va de soi que ces sous-ministres régionaux, rattachés au bureau du premier ministre, ne remplaceraient jamais un gouvernement régional élu par la population de la région. On le voit en ce moment avec les maires : seuls les élus ont un pouvoir réel. Présentement, la gouvernance et la planification régionale sont éclatées en une centaine de MRC (Municipalité régionale de comté) non élues et dépendantes de plus de 1000 municipalités — électives, elles —, dont près de 50 % comptent moins de 1000 habitants. Une fragmentation qui laisse le champ libre aux grandes pattes de l’État central.

Pour redonner le pouvoir aux régions, il faudrait d’abord en faire des entités politiques dotées d’élus imputables, de pouvoirs et de ressources autonomes : pas des fonctionnaires sous tutelle, des pouvoirs délégués, des revenus conditionnels. Mme Anglade promet de leur payer la taxe des édifices gouvernementaux, de leur rembourser la taxe de bienvenue et de doubler leur part de redevances sur les ressources naturelles. Je ne sais pas vous, mais moi, je n’ai jamais entendu dire que les municipalités avaient droit présentement à une part quelconque des redevances sur les mines, les forêts, les parcs, ou la navigation, ou, quoi que ce soit d’autres… sauf sur de rares parcs éoliens où elles sont partenaires!

Le gouvernement s’apprête lui aussi à rendre publique une nouvelle stratégie d’urbanisme et d’aménagement du territoire qui ne semble guère plus ouverte à la décentralisation du pouvoir. En d’autres mots, d’un côté comme de l’autre, du vent, que du vent, que des mots, pour tromper tout le monde.

Heureusement que plusieurs municipalités importantes semblent décidées à ne pas attendre le gouvernement pour reprendre en main l’aménagement de leur territoire, c’est-à-dire revenir à des villes, des quartiers et des villages de proximité, des milieux de vie plutôt que des banlieues de bungalows isolés. On ne l’avait pas venu venir, mais c’est peut-être de ce côté-là que viendra la nouvelle génération de politiciens et le renouveau des régions, vidées de leur sang par l’urbanisation et la centralisation irresponsable de l’après-guerre.