Quand la neige se dépose pour la première fois, on se rappelle assez vite que les pentes peuvent être glissantes et dangereuses. Mais on ne veut pas parler ici seulement de la météo.
Depuis 2021, Roméo Bouchard tient une chronique récurrente dans Le Placoteux. On ne peut être que d’accord avec lui quand il parle des oies et des paysages majestueux du Kamouraska. On est aussi d’accord quand il dénonce l’industrie agricole qui appauvrit les sols et engraisse les conglomérats.
Mais quand il parle d’identité, de culture québécoise et de fierté nationale, on en garde un malaise.
Le discours de Roméo est glissant et dangereux. À plusieurs reprises, il fait des amalgames, se contredit ou accuse à tort et à travers différents boucs émissaires en ce qui a trait à la soi-disant perte de l’identité et de la culture québécoises.
Au Kamouraska, les personnes immigrantes représentent 1,4 % de la population. Pourtant, Roméo réécrit sans cesse que cette identité floue est menacée par les immigrants, les immigrants anglophones, le multiculturalisme, les Montréalais et les jeunes de gauche.
Le 26 juin 2021, Roméo écrivait dans l’article « Le peuple québécois est souverain » : « [l]e multiculturalisme ambiant incite toutes les minorités à affirmer leur diversité au lieu de chercher à s’intégrer à la citoyenneté québécoise. » (https://leplacoteux.com/le-peuple-quebecois-est-souverain/)
Il est déplorable de voir que Roméo Bouchard brandit malheureusement le bon vieux monstre de l’envahissement étranger et de la domination des minorités afin de raviver la flamme nationaliste.
Le 7 mai 2022, Roméo parlait de comment nous arriverons à créer la citoyenneté québécoise. Il écrit (dans les pages du Placoteux) que « la condition essentielle pour y parvenir est que le Québec obtienne les pleins pouvoirs pour choisir ses immigrants de façon à garantir le plus efficacement possible leur intégration rapide à la langue, à la culture, au milieu de travail et à la vie démocratique du peuple québécois ».
À cela, il ajoute, le 10 septembre dernier, que « [l]es régions subissent l’excroissance et la déloyauté de Montréal, de plus en plus bilingue et multiculturelle. On veut 35 000 (PQ), 50 000 (CAQ-PCQ), 70 000 (Libéraux), 80 000 (QS), immigrants par année, sans parler des 100 000 travailleurs étrangers temporaires, presque tous à Montréal ». (Voir l’article « Votez sans parti » https://leplacoteux.com/votez-sansparti%e2%80%89/)
Dans le même article, Roméo parle des enjeux de la ruralité, et dit qu’« [o]n doit importer de la main-d’œuvre, même dans les fermes laitières dites familiales. » Mettons une chose au clair; on n’« importe » pas de la main-d’œuvre. Les humains ne s’importent pas, ce ne sont pas des produits. Pour écrire ainsi, des lignes de la sorte, il ne faut assurément rien connaître des différents programmes d’immigration, des complexités et des obligations liées à ceux-ci qui imposent des situations de vie précaires. Pour écrire des choses comme ça, il faut être dans un manque d’humanité face à des personnes arrivant d’un parcours migratoire assurément déstabilisant et potentiellement traumatisant.
Il est aussi indécent de voir que Le Placoteux accepte la version réécrite de l’histoire dont Roméo fait étalage dans son article « La visite du pape et notre rapport aux Premières Nations » du 16 juillet dernier. C’est écrit noir sur blanc : il nie ouvertement l’implication des institutions canadiennes-françaises et québécoises dans le génocide des Premières Nations. Cette vision idéalisée de la relation entre Autochtones et Canadiens français est omniprésente – et témoigne d’un aveuglement majeur sur la question, un aveuglement malheureusement classique du discours nationaliste québécois, qui ne sait trop que faire face aux Premières Nations – et fausse.
C’est à croire que Roméo Bouchard n’a rien lu des commissions d’enquête récentes, des auteurs autochtones, dont Michel Jean, ou n’a pas ouvert sa télévision pour regarder la série Pour toi Flora sur Radio-Canada.
On souhaitait écrire autant au journal Le Placoteux qu’à ses lecteurs et lectrices, puisque nous sommes préoccupé.e.s. Il nous semble évident que Roméo a un parcours militant et des opinions pertinentes sur différents points. Mais trop souvent, ses chroniques sont teintées d’une xénophobie d’autant plus dangereuse qu’elle n’est pas clairement affichée, mais plutôt sous-entendue par un discours nationaliste québécois qui lui donne des allures d’autorité et de « gros bon sens ».
Nous aimerions donc que cessent les discours dégradants, et plus largement la désinformation qui est malheureusement promue dans certains – voire la plupart – de ses articles. Christina Koulouri, historienne, a dit que « le nationalisme n’est jamais cohérent et n’est pas rationnel » : il se construit peu à peu dans ses propres contradictions en tendant tranquillement vers une idéologie fascisante.
Gardons-nous de descendre ces pentes et de tomber dans le panneau. On ne veut pas que ces discours soient dominants, c’est pourquoi on a pris la peine de les dénoncer ici.
Audrey Cloutier et André Bergeron, La Pocatière