Audrey Cloutier et André Bergeron, je ne vous connais pas. Vous critiquez mes chroniques bihebdomadaires dans Le Placoteux et demandez au journal de me retirer cette tribune.
Cette chronique est une chronique d’opinion personnelle sur l’actualité au sens large; je la rédige avec tout le respect, l’intégrité et l’exactitude possible. Je ne suis le porte-parole d’aucune allégeance politique et je ne milite pour aucune cause en particulier. Le regard libre que je porte sur notre milieu et l’actualité puise essentiellement dans l’expérience et les connaissances que j’ai acquises au cours de ma longue vie de 86 ans. Et les lecteurs du journal ont tout l’air de s’y reconnaître.
Je n’ai aucun problème avec le fait que vous exprimiez une opinion contraire à celle que j’exprime dans ces chroniques depuis bientôt deux ans. Mais votre intervention ne se limite pas à exprimer respectueusement une opinion contraire ou différente de la mienne : elle réclame que le journal me retire cette tribune pour me faire taire : « On souhaitait écrire autant au Journal Le Placoteux qu’à ses lecteurs et lectrices, car il nous semble évident que les chroniques de Roméo sont teintées de xénophobie et nous voulons que cessent les discours dégradants, et plus largement, la désinformation qui est malheureusement promue par la plupart de ses articles. On ne veut pas que ces discours soient dominants, c’est pourquoi on a pris la peine de les dénoncer ici. »
Je suis de toute évidence devant une « tentative d’annulation » de votre part, un procédé bien connu des « wokes » et de tous les justiciers autoproclamés de la diversité qui voient du racisme partout et casent tout le monde d’après leurs caractéristiques ethniques, culturelles, sexuelles ou raciales.
Tout le problème est là. Les propos « dégradants » dont il est question ici sont ceux où j’explique que l’immigration doit tenir compte de l’avenir de la nationalité française au Québec – en passant, je vous signale que les travailleurs étrangers ne sont pas des immigrants ni des réfugiés, mais une main-d’œuvre contractuelle —, et ceux où j’explique que le rapport des Québécois avec les Premières nations n’est pas le même que celui des Britanniques. Tous ceux qui connaissent le moindrement les récentes études historiques savent qu’elles confirment que l’alliance et le partenariat que Champlain a négocié avec les Premières nations diffèrent totalement du génocide pratiqué par les Britanniques aux États-Unis et au Canada, après la Conquête et surtout la Confédération, avec la Loi sur les Indiens et les pensionnats autochtones. La Paix de Montréal en 1701 témoigne éloquemment de cette alliance. Loin de nier la part des Québécois dans le génocide des nations autochtones, j’écris avec beaucoup de nuances que les Québécois n’ont pas échappé à la mentalité et aux pratiques coloniales de l’époque, mais ils ont gardé une solidarité de base avec les autochtones, comme en témoignent des faits comme leur révolte contre la pendaison de Louis Riel et la première entente de cohabitation et de partage du territoire signée avec les Cris, les Inuits et les Naskapis dans la Convention de la Baie-James et la Paix des Braves. Si ça peut vous rassurer, j’ai lu tous les livres de Michel Jean, Serge Bouchard, Naomi Fontaine, An Antane Kapesh, Raphaël Picard, Pour toi Flora, Le rêve de Champlain, et beaucoup d’études historiques qui semblent vous échapper.
Une phrase dans votre texte résume tout. Mon crime, c’est d’être nationaliste, d’avoir à cœur l’avenir de l’identité d’une nation québécoise qui intègre les nouveaux arrivants et les différents groupes culturels dans le respect de leurs différences. Car voici votre argument massue : le nationalisme conduit au fascisme et au racisme : « Christina Koulouri, historienne, dit que le nationalisme n’est jamais cohérent et n’est pas rationnel : il tend tranquillement vers une idéologie fascisante. Gardons-nous de descendre les pentes glissantes du racisme ». Nationalisme=fascisme=racisme : c’est beaucoup, pour des gens qui me reprochent de faire des amalgames douteux et dégradants.
Libre à vous de jouer les groupes soi-disant « racisés » contre l’identité québécoise et de vouloir décoloniser notre histoire en jouant les Premières nations contre les Québécois : je préfère pour ma part qu’on cherche à construire une solidarité et une citoyenneté communes. Et surtout, je refuse que les « wokes » — car c’est bien d’eux qu’il s’agit ici — se croient le droit de « m’annuler » et d’exiger qu’on me fasse taire. Pour ma part, je n’ai pas l’intention de me taire.
Roméo Bouchard, Saint-Germain-de-Kamouraska