Le gouvernement canadien soutient le journalisme depuis des générations. Depuis la fondation du premier journal canadien, la Halifax Gazette, en 1752, la publicité gouvernementale a été une source importante de revenus pour les journaux. Même avant la Confédération, des aides directes, comme l’ancien Programme d’aide aux publications, qui subventionnait la livraison postale de journaux non quotidiens, ont permis aux Canadiens d’avoir accès à des nouvelles canadiennes de qualité.
Il y a 20 ans, le gouvernement fédéral dépensait 110 M$ en publicité et ces fonds étaient gérés par 30 agences de publicité. Les journaux imprimés et les magazines représentaient environ un tiers des dépenses publicitaires fédérales, tandis que la publicité sur Internet représentait moins de 1 % des dépenses.
L’année dernière, le gouvernement du Canada a dépensé 140 M$ en publicité au total et a fait appel à une agence de référence pour la planification et le placement médias. Bien que le modèle de l’agence unique soit efficace, nous nous préoccupons quant à la destination de ces maigres ressources publicitaires.
L’année dernière, à peine 6 M$, soit 5 % du budget publicitaire fédéral, ont été consacrés aux publications imprimées. C’est bien loin du presque tiers du budget d’il y a 20 ans. À titre de comparaison, les dépenses du gouvernement pour les publicités sur Facebook/Instagram représentent à elles seules près du double de ce qui est dépensé pour l’ensemble de la publicité imprimée. Et les dépenses pour les publicités sur Twitter, Snapchat et TikTok combinées ont été plus importantes que toutes les dépenses dans les imprimés.
Aujourd’hui, la publicité numérique représente plus de 50 % de l’ensemble des dépenses publicitaires fédérales. Selon le ministère américain de la Justice, qui poursuit Google, l’entreprise « empoche en moyenne plus de 30 % des recettes publicitaires qui transitent par ses produits technologiques de publicité numérique ».
Les entreprises de médias sociaux opérant au Canada n’emploient pas de journalistes, et sont protégées de toute responsabilité par l’article 230 du titre 47 du code des États-Unis. Elles bénéficient de tous les avantages d’être éditeur sans en avoir les obligations.
Les géants de la recherche numérique et des médias sociaux ont grandement contribué à rapprocher les gens, les entreprises et les communautés. Pourtant, leur montée a eu des conséquences inattendues. Alors qu’ils fournissent la plomberie essentielle de notre ère numérique, ils n’ont pas trouvé le moyen de séparer l’eau potable — par exemple, les nouvelles et informations basées sur des faits — des eaux usées — par exemple, les fausses nouvelles.
Les sources d’information fiables constituent un filtre important qui aide les Canadiens à faire des choix éclairés. Le vrai journalisme, celui qui repose sur le jugement éditorial et une vérification rigoureuse des faits, coûte de l’argent, et cet argent provient de la publicité ou des abonnements. Les éditeurs de presse canadiens emploient de vrais journalistes, qui adhèrent à des normes éditoriales strictes, et les éditeurs peuvent être tenus responsables de leur contenu. Pourtant, l’argent de la publicité fédérale, qui contribuait autrefois à financer nos salles de presse, a été transféré en grande partie aux entreprises du secteur des grandes technologies qui tirent profit de notre contenu.
Le gouvernement fédéral a reconnu que le journalisme est en difficulté. Il a pris des mesures pour irriguer les déserts d’information et les zones de pauvreté en matière d’information en lançant l’Initiative de journalisme local. Il a également déposé le projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne, qui permettra aux éditeurs de se regrouper pour négocier des accords de licence de contenu équitables avec les géants du web et niveler les règles du jeu en matière de numérique.
Les marchés publics constituent l’un des outils les plus puissants de la boîte à outils politique d’un gouvernement. Les marchés publics peuvent aider les gouvernements à faire progresser les objectifs de la politique socioéconomique, y compris la création d’emplois, et à obtenir de meilleurs résultats. En effet, la Politique d’approvisionnement social du gouvernement fédéral facilite et soutient l’inclusion de mesures socioéconomiques dans les marchés publics afin d’atteindre l’objectif de la meilleure valeur pour l’État et, par conséquent, pour les Canadiens.
N’est-il pas temps pour le gouvernement fédéral d’aligner ses dépenses publicitaires sur son objectif de politique gouvernementale visant à soutenir des sources d’information responsables et fiables? N’est-il pas temps de soutenir notre équipe locale et de garder au Canada l’argent de la publicité, qui soutient un journalisme civique vérifié et basé sur les faits? L’absence d’action accroît la désinformation et la mésinformation, rend les citoyens moins informés et moins engagés, mine le discours public et nuit à l’esprit de communauté.
Paul Deegan, président et chef de la direction de Médias d’Info Canada