Jacques Bourgault était le fils de Médard Bourgault, le fondateur du mouvement de sculpture sur bois qui a fait la renommée nationale et internationale de Saint-Jean-Port-Joli au cours du XXe siècle. En effet, dès que Médard Bourgault a été connu du public à partir des années 1930, ses frères, puis ses enfants, neveux et nièces et de nombreux Québécois ont suivi les traces de Médard et ont donné à leur créativité une grande visibilité, ici et au-delà des frontières. Jacques Bourgault, l’un des cinq fils de Médard, était du nombre. Voici quelques notes qui nous permettent de nous rappeler ce qu’il fut ainsi que son œuvre.
André-Médard, frère de Jacques, me racontait, l’été dernier : « La maison était pleine de sculptures. On a grandi là-dedans. Mon frère Jacques et moi, quand on était jeune, on se promenait sur le terrain à travers les statues qui étaient sur le rocher, derrière la maison. Pour nous autres, ça faisait partie de la vie ». Vivant au milieu d’une famille dont le centre d’activité est à l’atelier du père, les enfants de Médard, filles comme garçons, jouent dans le vaste atelier attenant à la maison, là même où a débuté la toute première école de sculpture sur bois de Saint-Jean-Port-Joli en 1940, avec ses seize élèves venus de tous les coins de la province. Mais Jacques ne s’intéresse pas vraiment à tout ce qui s’y passe, car il est attiré par la vie de marin qui a été le premier métier de son père et de plusieurs de ses oncles. On peut imaginer que les histoires de matelots que Jacques a entendues dans sa jeunesse meublent son imaginaire d’enfant et d’adolescent.
Mais la sirène des arts guettait. La fille de Jacques, Karine Bourgault, raconte qu’à seize ans, après avoir quitté l’école, Jacques se retrouve à l’atelier où il apprend la sculpture de ses frères, en particulier de Claude, qui est de six années son aîné. Car Médard, bien qu’omniprésent, préfère qu’on l’observe plutôt que de montrer comment faire. Jacques se pratique d’abord avec de petites pièces, des animaux surtout. Puis à l’âge de 21 ans, il fait le saut définitif en sculpture et assiste son père à remplir les commandes de statues qui arrivent à l’atelier. Il fait d’abord le découpage des pièces que son père complète. Puis il travaille ses propres pièces, se fait lentement la main, développe son talent et un style très personnel, qui se concrétiseront par des représentations humaines dans l’art religieux, le mouvement et le souci du détail, même dans les doigts de la main, finement ciselés.
Le décès de Médard, le 21 septembre 1967, est un événement tragique pour la famille. Perdre un père est toujours pénible. Mais, en plus, on perd le maître de l’atelier, celui à qui tous les clients demandaient une œuvre, comme si les enfants et autres sculpteurs autour ne comptaient pas. On voulait du Médard, juste du Médard! Les enfants devaient alors s’imposer, montrer leur savoir-faire et exposer leur propre talent. Karine raconte que Jacques sculpta alors un Christ en croix que son père malade avait dessiné pour l’église de Beaupré : « Ce fut la première pièce religieuse que mon père compléta et signa. »
Karine ajoute :
« À partir de 1968, on peut dire que la sculpture était devenue son métier, son apprentissage était complété. Il reprit en charge l’atelier et, à partir de ce moment, lorsque les clients, en voyant ses sculptures, disaient : “Ce n’est pas du Médard!”. Il pouvait affirmer avec fierté : “Non, c’est du Jacques Bourgault!”
Les commandes étaient rares au début. Une rencontre importante fut celle de l’abbé Édouard Bonnin du Manitoba pour lequel il réalisa plusieurs œuvres religieuses et qui lui fit une bonne publicité. Après, ce fut l’Ontario. Il y a même eu l’abbé Marchand de Sudbury, qui voulait qu’il s’installe en Ontario. Il était devenu une référence en art religieux dans cette province. À partir de 1975, il remplit des commandes venant du Maine, du Massachusetts, de New York et du Michigan. Des sculptures religieuses se sont retrouvées en République démocratique du Congo et au Japon. Le plus gros corpus réalisé fut un Christ mort de 10 pieds en bois de chêne pour l’église Notre-Dame-de-Lourdes dans l’état du Massachusetts.
L’art religieux occupa 50 ans de la carrière de sculpteur de mon père. Mais en septembre 2004, il décida de se retirer de l’art religieux, non pas par manque de travail, mais pour se consacrer à une autre forme d’art qui interpellait sa créativité : le nu. Tout au long de sa carrière, à travers les commandes d’art religieux, il réalisa plusieurs autres types d’œuvres comme des œuvres populaires, contemporaines ou encore des couples de nus. Ces œuvres étaient une source de liberté, car il pouvait laisser aller sa créativité. Parfois, l’œuvre était achevée au bout de 3 ans. Que d’heures il passa dans les livres d’anatomie pour les artistes et dans ses pensées assez profondes! Il se retirait complètement du monde. Nos cris, nos rires d’enfants, nos disputes, nos “Papa, on te parle!” tombaient dans l’ignorance la plus complète. L’artiste créait, la future œuvre prenait forme dans son esprit.
Les médias ont fait de nombreux reportages sur les Bourgault. Mon frère et moi étions des enfants, impressionnés par les caméras braquées sur notre père, par les touristes émus de ses œuvres, par les délégations religieuses louangeant son talent de créateur et par tout ce que notre papa pouvait faire sortir des gros morceaux de bois inanimés. Nous avons passé des heures à le regarder travailler, à enlever les copeaux de bois sur les ébauches, à humer la douce odeur du bois. Nous avons partagé la vie d’un homme extraordinaire, pour qui notre admiration et notre amour sont sculptés au plus profond de nos êtres. »
Jacques Bourgault laisse dans le deuil son épouse Rachel Caron, leur fille Karine et leur garçon Sébastien, ainsi que de nombreux membres de sa famille. Nous leur présentons toutes nos condoléances.
Je remercie Karine Bourgault de m’avoir donné accès au témoignage qu’elle a fait au décès de son père ainsi que pour les photos incluses dans cet hommage. Je remercie également le frère de Jacques, André-Médard Bourgault, pour sa disponibilité lors de mes entrevues sur les sculpteurs héritiers des Bourgault.
Jacques Bourgault a été le sujet d’un reportage dans le cadre de l’Inventaire du patrimoine immatériel religieux du Québec (IPIR) de l’Université Laval sous le titre « Jacques Bourgault, sculpteur d’art sacré », 1er juin 2011.
Jean-François Blanchette, Société québécoise d’ethnologie