Que faisiez-vous, 18 août dernier? Moi, j’étais en Normandie, à Dieppe, pour rendre hommage aux victimes du fameux raid de 1942. C’est à ce moment que j’ai vu la pierre tombale d’un gars de Saint-Pascal de Kamouraska, Ernest Migneault. J’en ai parlé dans les pages du Placoteux, mais sans grand espoir qu’on se rappelle de lui.
Nicolas Paquin
Après toutes ces années… Je l’ai fait comme on lance une bouteille à la mer, avec le cœur gros d’amertume contre ces guerres qui enterrent des gars à des milliers de kilomètres de ceux qu’ils ont aimés. Je l’ai fait parce qu’oublier un homme mort à la guerre, c’est le condamner à une deuxième mort. Je l’ai fait parce qu’il fallait le faire.
Des réponses
Des gens m’ont répondu. Plein de gens! Des généalogistes du coin, ou des États-Unis. Même une dame de la Société d’histoire – mais je n’avais pas le bon numéro de téléphone pour la rappeler. Mes excuses! Tous l’ont fait avec générosité. Personne ne leur avait demandé. C’est l’appel du Devoir. Tous ont aimablement rectifié mon hypothèse : Ernest est né à St-Pascal. Sa famille a quitté pour les États-Unis après la mort de sa mère. Seuls lui et sa sœur sont restés au Canada. Étudiant du Collège Sainte-Anne-de-La-Pocatière, il est ensuite devenu gérant de banque, a écumé l’Ouest canadien, puis est venue la guerre. Il était trop vieux pour s’enrôler. Il l’a fait quand même. Ça a été l’Islande, l’Angleterre, puis le grand saut dans l’eau de la Normandie. Il n’a pas survécu.
Il aura été victime de la guerre, mais ne le sera pas de l’oubli.
Un jour, le directeur du Placoteux m’envoie les coordonnées de Rita Charest. Elle est la nièce d’Ernest! J’ai eu la chance de faire sa rencontre et d’aller au-devant du souvenir d’Ernest : quelques photos, quelques lettres de sa main… Une main sûre, une écriture généreuse, sans faute. Et ce visage, qui voulait me dire quelque chose comme « Ne m’oubliez pas ».
Je pourrais encore vous raconter la tristesse de la famille quand on a annoncé la mort d’Ernest. Ou cette femme inconnue qui porte un chat, sur une photo qu’on ne retrouve plus. Ou ce frère qui a fait l’armée américaine, et qui revint chamboulé de cette guerre. Mais pour le reste, notre rencontre a été faite de non-dit : les grands secrets d’un Ernest parti à la guerre pour nous prouver quelque chose qu’on ne devrait jamais avoir à prouver. Ce grand secret demeure entre Ernest et moi.
Et le Jour du Souvenir
Les Amis, le 11 novembre ramène chaque année le Jour du Souvenir. Vous pouvez être indifférents à ce jour-là. Que puis-je vous dire contre ça? Rien. Mais je pense que dans notre monde en manque d’humanité, notre incapacité à nous souvenir de ceux qui donnent leur vie pour que la nôtre soit plus douce est sans doute le principal moyen d’illustrer la dérive de nos valeurs. Quand vous passerez devant un cénotaphe, arrêtez-vous… Les morts, ils ont beaucoup à nous apprendre.