Ce n’est pas la première fois qu’on a l’impression que le fantôme de Claude Béchard flotte au-dessus du Kamouraska. Avant le 19 février, date de la conférence de presse sur l’avenir de l’usine Bombardier à l’hôtel de ville de La Pocatière, jamais on n’avait comparé publiquement ses réalisations passées à celles du député actuel, Norbert Morin. Quand on entendait ce type de comparaison, nous, les journalistes, c’était toujours « off the record », comme on dit dans le métier.
Le 19 février, le président du syndicat des employés de l’usine Bombardier et conseiller municipal à la Ville de La Pocatière, Mario Guignard, a osé le faire. Questionné par ma collègue Stéphanie Gendron à savoir s’il y avait urgence d’agir pour maintenir les emplois à l’usine de La Pocatière, maintenant que le contrat du REM à Montréal avait échappé à Bombardier, Mario Guignard a comparé la situation actuelle au trou noir appréhendé il y a plus de 12 ans.
En 2006, les gens étaient descendus dans la rue par centaines à La Pocatière pour réclamer du gouvernement qu’il octroie le contrat de renouvellement des voitures du métro de Montréal à Bombardier. Et c’est à l’évocation de ce souvenir passé que Mario Guinard a fait ce que personne n’avait encore fait publiquement : faire appel au fantôme de Claude, en rappelant que c’était le défunt député-ministre de Kamouraska-Témiscouata qui représentait le comté à l’Assemblée nationale, à l’époque. Fin de la conférence de presse.
Quelques minutes plus tard, Norbert Morin, alors présent, n’avait sûrement pas encore avalé la pilule lorsque Mario Guignard a précisé ses propos. « On (Norbert Morin) a de la bonne volonté dans la défense des dossiers, mais on sent qu’il y a moins d’agressivité », a-t-il ajouté.
Les « orphelins » de Côte-du-Sud
Ce n’était qu’une question de temps avant que cette référence à Claude Béchard ne finisse par sortir publiquement. Depuis son décès, nombre d’électeurs de la région ont l’impression que le Kamouraska est laissé à lui-même. Et comme le passé est toujours plus reluisant que le présent, l’imaginaire collectif régional a assimilé les années Béchard comme ayant été plutôt favorables au « doux pays. »
Parce qu’il faut se le dire, depuis la création du comté de Côte-du-Sud, lors de l’élection générale de 2012, le Kamouraska se retrouve aujourd’hui bien loin des « centres décisionnels. » Trop à l’ouest dans un Bas-Saint-Laurent contrôlé sur le plan administratif à partir de Rimouski, il se retrouve maintenant trop à l’est d’une circonscription où le pouvoir économique est concentré principalement autour de Montmagny.
Côté « dossiers chauds », les gens se rappellent l’ardeur que Claude Béchard a mis à défendre Bombardier ou même l’énergie qu’il a mis pour que la construction de la nouvelle urgence à l’Hôpital de La Pocatière se réalise enfin. Comme ces deux « institutions » défrayent aujourd’hui la manchette pour les raisons qu’on connaît, les comparatifs sont donc faciles à faire et la perception que Claude Béchard représentait mieux ou défendait mieux la région au gouvernement n’est que renforcée.
Dans les faits, Norbert Morin a peut-être juste hérité d’un contexte moins favorable au Kamouraska en ce qui concerne les « dossiers chauds » du moment. En santé, la réforme de Gaétan Barrette et la centralisation qui en découle vers Rimouski nuiraient à l’accessibilité aux soins dans la région, et pour Bombardier, il ne serait pas surprenant que le gouvernement ait un fort désir de jouer de prudence avec l’entreprise. La saga Bombardier Aéronautique où les hauts dirigeants de l’entreprise se sont versé des primes de 33 M$, quelques mois à peine après que le gouvernement ait volé au secours de la CSeries en injectant 1 MM $ d’argent public, a fait beaucoup de tort au nom Bombardier au Québec.
Mais contexte favorable ou non, la réalité, c’est qu’en politique, les perceptions, qu’elles soient fondées, ou non, sont toujours plus fortes que la réalité. Norbert Morin le sait. Pour cette raison, les chaussures de Claude seront toujours difficiles à chausser au Kamouraska, pour lui, comme pour un autre. Et c’est pourquoi François Legault aura fort à faire pour trouver la perle rare, s’il désire remporter le comté à la prochaine élection. Parce qu’au-delà des promesses, ce que le Kamouraska espère, ce n’est pas un député, mais un superhéros!