Elle court les grèves du Kamouraska depuis 20 ans, à la recherche de plantes salines qu’elle a contribué à faire découvrir aux gens et dont les plus grands chefs du Québec ne peuvent plus se passer aujourd’hui dans leur cuisine. Claudie Gagné est un spécimen rare. Libre comme une brise marine, authentique comme les herbes qu’elle cueille, elle se livre sans censure avec une légèreté et un humour empreints de fraîcheur, comme l’air salin qui berce les berges de notre beau fleuve.
Elle avait dit 17 h. C’était le moment qui convenait le mieux. Pourtant, tout grouillait encore d’activités aux Jardins de la Mer de Saint-Germain-de-Kamouraska. Une employée venait de terminer d’empaqueter 150 sacs d’herbes. Une autre continuait de peser des quantités à l’arrière. Claudie Gagné, elle, répondait aux clients qui s’arrêtaient. Tantôt un restaurateur de la région, tantôt une dame des environs, visiblement « habituée », car Claudie l’appelle par son nom.
À travers tout ça, notre entretien, qui reprenait chaque fois où on l’avait laissé. Quand tout a commencé à se calmer, elle m’interrompt et me dit : « Un petit apéro, ça te dit? » Comment refuser? Pendant qu’elle préparait une petite planchette de sa salicorne, du Grelot des Battures de ses amis du Fou du cochon & Scie et un peu de chips, je m’abandonnais aux premières pages de son livre : Les Jardins de la Mer, recettes et propos salés. À son retour, je lui demande, d’un ton très journalistique : « Depuis quand rêvais-tu de faire un livre? » Elle me répond en toute franchise : « Je prenais des notes depuis quelques années, mais je ne pensais pas le faire si tôt. Je croyais que je ferais ça quand je serais trop vieille pour me mettre à quatre pattes dans la vase! »
« Je prenais des notes depuis quelques années, mais je ne pensais pas le faire si tôt. Je croyais que je ferais ça quand je serais trop vieille pour me mettre à quatre pattes dans la vase! » – Claudie Gagné
Une réponse qui démontre bien l’approche « sans prétention » avec laquelle Claudie Gagné a pondu ce livre. Son histoire, des informations sur les plantes de mer et comment les récolter, un brin de folie et un soupçon de poésie en guise de conclusion. Sinon, quelques recettes simples, qu’elle a développées au fil du temps. C’est ce qu’elle souhaitait. « Je ne voulais pas que ça soit “too much.” La haute gastronomie, je laisse ça aux chefs », citant en exemple sa trempette à l’églantier, qu’elle qualifie de bon substitut au célèbre mélange ketchup-mayonnaise.
De coureuse des grèves à entrepreneure
À l’écouter se raconter, on comprend rapidement que Claudie Gagné n’est pas celle qui se prend au sérieux. Pourtant, celle qui jadis arpentait la région avec son vieil autobus scolaire qui a servi successivement d’atelier, de logis, de boutique et aujourd’hui de séchoir à herbes salines, a un parcours enviable, qui démontre toute la puissance de son instinct, ou tout simplement sa grande capacité à se laisser porter.
Tout a commencé à la Pointe-Sèche de Saint-Germain, en 1998. Claudie a alors 17 ans et elle fait la connaissance de François Bouillard qui l’initie à la culture des plantes salines. Coup du hasard, ou signe du destin, cette journée-là, Claudie Gagné a trouvé sa voie. De « jobinette » estivale, comme elle l’écrit, à une véritable entreprise, Les Jardins de la Mer, « l’hurluberlue » (comme elle se qualifie) qui longeait le rivage kamouraskois au volant de son autobus vit aujourd’hui de sa passion à l’année, emploie sept personnes en saison estivale et vend ses plantes salines aux plus grands chefs du Québec comme Normand Laprise, propriétaire du restaurant Le Toqué à Montréal.
Mais qui dit entreprise dit administration. Claudie Gagné le sait. Malgré sa soif de liberté et son amour du fleuve, elle se discipline à la gestion en après-midi. L’important, c’est que le matin elle retrouve la cueillette et ses plantes qu’elle aime tant. Et malgré la pollution, les plantes envahissantes et l’augmentation du niveau du fleuve qui ne lui feront pas de cadeaux dans le futur, Claudie Gagné demeure optimiste, comme si elle était impatiente de devoir s’adapter à la nature. Pourquoi pas? Au pire, elle n’aura qu’à s’enraciner sur d’autres berges, tel un épinard de mer emporté par le mouvement du Saint-Laurent pour mieux être ressemé quelque part sur le littoral.