Barbier depuis plus de 60 ans, dont 55 années à La Pocatière, Wilfrid Gendron tirera sa révérence le 1er janvier prochain. À l’aube de ses 78 ans, celui qui se considère toujours en forme et en santé a décidé que l’heure de la retraite avait sonné. Non pas parce qu’il n’aime plus son métier, mais parce qu’il faut bien arrêter un jour ou l’autre. D’ici là, il coupera les cheveux de ses fidèles clients une dernière fois afin que tous puissent être sous leur meilleur jour pour le temps des fêtes.
Le salon de Wilfrid Gendron était vide en ce mardi après-midi. Un hasard, car les hommes qui ne jurent que par lui pour une coupe de cheveux ou la taille de leur barbe sont encore nombreux. Depuis qu’il a annoncé en novembre dernier qu’il fermait ses portes définitivement le 1er janvier, plusieurs sont carrément désemparés. « Certains me disent qu’ils ne savent pas où ils vont aller désormais. Il y a des clients dont je coupe les cheveux depuis que j’ai commencé à travailler comme barbier à La Pocatière », a-t-il déclaré.
Alors, pourquoi arrêter? « J’ai encore beaucoup de plaisir avec les clients, j’adore ce que je fais et ma santé est bonne. Mais demain, est-ce que ça sera encore le cas? Il faut que je prenne un peu de temps pour moi », répond-il.
« Quand j’ai débuté, à la fin des années 50, on chargeait 0,30 $ pour une coupe de cheveux et 0,10 $ pour la barbe. Les hommes se succédaient le matin pour se faire raser. Aujourd’hui, ils sont nombreux à garder leur barbe. Tout ce qu’on fait, c’est tailler légèrement. » – Wilfrid Gendron
La belle époque
Assis confortablement sur une des chaises habituellement réservées à sa clientèle, Wilfrid Gendron semble inspiré par l’air de Noël qui joue à la radio. « Avant, les gens étaient tellement nombreux à vouloir se faire couper les cheveux avant Noël que je n’avais jamais assez de chaises pour asseoir tout le monde qui attendait », se souvient-il.
À la simple évocation de ce souvenir, Wilfrid Gendron semblait retourné à la belle époque, celle où il n’y avait que trois barbiers dans tout La Pocatière. « Les salons pour hommes coupaient les cheveux seulement pour les hommes et vice-versa. Tout était surveillé par le comité paritaire. Si on se faisait prendre à faire les cheveux à une femme, on était passible d’une amende », s’est-il exclamé.
L’ouverture de l’usine Moto-Ski dans les années 60 et l’avènement de la coiffure unisexe ont tout changé, selon lui. Du jour au lendemain, les salons de coiffure se sont répandus dans toute la ville. Malgré tout, sa clientèle est demeurée fidèle. « Quand j’ai débuté, à la fin des années 50, on chargeait 0,30 $ pour une coupe de cheveux et 0,10 $ pour la barbe. Les hommes se succédaient le matin pour se faire raser. Aujourd’hui, ils sont nombreux à garder leur barbe. Tout ce qu’on fait, c’est tailler légèrement », de préciser le barbier septuagénaire.
Des amis
Attaché à ses clients, Wilfrid Gendron se réfère à eux comme à des amis. Durant toutes ces années, il les a accueillis du mardi ou jeudi, sans rendez-vous, contrairement à la majorité des salons de coiffure. « Quand on me téléphonait pour prendre un rendez-vous, je répondais qu’ici c’est comme à la confesse. Tu te présentes quand t’as besoin. Quand je tombais sur des plus jeunes qui me disaient ne pas savoir ce que c’était (la confesse), je leur disais de venir me voir et que je leur expliquerais pendant que je leur coupe les cheveux », a-t-il mentionné, en riant.
Ce climat amical, teinté d’humour, qui régnait dans son salon, Wilfrid Gendron avoue s’en être nourri durant les 61 années qu’il a pratiqué son métier. Peut-être est-ce aussi la raison pourquoi il ne ressentait pas le besoin de travailler en collégialité avec un autre barbier, parce que les échanges avec ses clients lui suffisaient? « J’ai travaillé un peu pour Arthur Chamberland durant mes premières années comme barbier à La Pocatière, sinon j’ai toujours travaillé seul. Je préférais ça », explique-t-il.
Mais qui dit seul dit également pas de relève, ce pour quoi son salon cessera d’exister lorsqu’il partira à la retraite le 1er janvier. D’un autre côté, Wilfrid Gendron ne croit pas qu’il aurait trouvé preneur pour son salon. Selon lui, il y a trop d’offres sur le marché, à l’heure actuelle.
Néanmoins, malgré tous ces bons souvenirs, Wilfrid Gendron semble serein avec sa décision. Et quoi de plus stimulant que de tirer sa révérence après la période des fêtes! Son rasoir est bien chargé et ses ciseaux sont bien affûtés. Jusqu’à la fin, Wilfrid Gendron a bien l’intention de s’appliquer dans son travail comme il l’a toujours fait. À quelques jours de Noël et du Jour de l’an, tous les hommes qui passeront sur sa chaise de barbier peuvent être assurés d’une chose : ils auront fière allure pour le temps des fêtes.