Éditorial : La langue de l’hypocrisie

Peter MacKay. Photo : Facebook Peter MacKay.

Ça ne date pas d’hier qu’on dit que le français s’apprend et que l’anglais s’attrape. Si la langue de Molière s’attrapait aussi facilement que celle de Shakespeare, son niveau de propagation actuel serait équivalent à celui du coronavirus : il suffirait qu’un Canadien anglais entre en contact avec un Québécois pour qu’il soit pris de la fièvre de Michel Tremblay et qu’il se mette à réciter du Nelligan tout en giguant sur La danse à St-Dilon de Gilles Vigneault.

Sans blague, si le français s’apprend et ne s’attrape pas, c’est parce qu’à la base il s’agit d’une langue difficile. Éternellement belle, mais ardue. Et par-dessus le marché, les Québécois qui sont toujours prêts à monter aux barricades pour la défendre, dès qu’ils sentent qu’elle est brimée au profit de l’anglais, sont les premiers à la bafouer à la première occasion et à répétition.

Il suffit d’écouter certaines personnes parler, si ce n’est pas marmonner, pour constater la pauvreté du vocabulaire quotidien. Écrire l’expression « érection civile » pour signifier la création du premier conseil municipal d’une Municipalité suffit pour créer une véritable commotion auprès d’internautes visiblement incapables de comprendre qu’il ne s’agit pas de ce qu’ils pensent au premier abord.

Quant à l’écriture, fréquenter les médias sociaux sur une base régulière est suffisant pour observer la quantité de fautes d’orthographes, d’erreurs grammaticales ou même de syntaxe dans les publications des utilisateurs. Et les anglicismes, eux, quand ils ne sont pas conjugués à l’impératif présent, ils se déguisent dans des tournures de phrases d’apparence française, mais qui sont en réalité une traduction littérale de l’anglais. « Mon nom est… », traduction de « My name is », au lieu de « Je m’appelle… »

Il s’agit du niveau de langage familier, certains diront. C’est vrai, la plupart du temps. Le problème, en fait, c’est que s’améliorer ne serait-ce qu’un minimum à l’oral et à l’écrit ne semble même pas une priorité, ni même valorisé. Et je ne parle même pas ici des francophones de la région de Montréal qui glissent volontairement vers l’anglais parce que c’est « totally cool »! Mais ça, c’est un autre dossier…

Piètres ambassadeurs

Bref, je me demande donc de quel droit on peut se permettre de relever toutes les erreurs en français de Peter MacKay, lors du lancement de sa campagne à la chefferie du Parti conservateur : des erreurs de structures, d’accords ou de confusions entre le féminin et le masculin, l’erreur probablement la plus courante pour un anglophone. Il n’y a pourtant pas une semaine où je n’entends pas quelqu’un dire « une grosse accident » lorsqu’il est question d’un fait divers, « des chevals » même si tout le monde sait que c’est non seulement affreux, mais que cela n’a jamais été accepté dans la langue française, ou un bon « je suis prête » dit par un participant masculin d’une télé-réalité quelconque, à moins que celui-ci ne se considère comme non genré.

Revenons à M. MacKay, le favori dans cette course à la chefferie du Parti conservateur. En piètres ambassadeurs de la langue française que nous sommes, et cela, souvent sans remords, comment pouvons-nous exiger le parfait bilinguisme à ce type qui aspire à être chef du parti qu’il représente? Par le fait qu’il désire être premier ministre d’un pays où il y a deux langues officielles, dont le français? Quelle hypocrisie! On lui demande de respecter notre langue alors que les exemples affluent où nous ne la respectons pas nous-mêmes!

On a reproché beaucoup à celui qu’il désire succéder, Andrew Scheer, d’avoir souffert de ses faibles habiletés en français lors des débats des chefs de la dernière campagne électorale fédérale. Même si on a pourtant connu pire, est-ce vraiment ce qui a fait mal aux conservateurs au Québec, ou plutôt ses positions personnelles controversées sur l’avortement et le mariage gai? Appartenant à l’aile plus progressiste des conservateurs, Peter MacKay ne risque pas de s’empêtrer comme M. Scheer sur ces questions en campagne électorale. Il n’a d’ailleurs pas tardé à rappeler que ces débats étaient clos. Peut-être est-ce aussi pourquoi on s’acharne autant à sa connaissance du français?

Comprenons-nous bien. Je suis d’avis qu’il est primordial qu’un chef de parti politique fédéral parle et comprenne bien les deux langues officielles du pays au Canada. Et je suis d’accord avec le fait que M. MacKay avait amplement le temps d’apprendre le français ces dernières années, d’autant plus qu’il était visiblement en réserve de la république concernant la chefferie de son parti, et que le contraire, un chef unilingue francophone, ne serait jamais toléré. Mais jouer les polices de la langue alors qu’il n’y a pas si longtemps on critiquait Denise Bombardier à Tout le monde en parle pour sa vision trop rigide du français? Un peu de cohérence, s’il vous plaît.

En fait, la seule raison qui devrait motiver Peter MacKay à améliorer ses capacités langagières actuelles en français, c’est pour mieux tenir tête en débat à un Yves-François Blanchet du Bloc québécois. Ai-je besoin de vous rappeler que celui-ci manie la langue française comme Séraphin fait tourner son or entre ses doigts dans Les pays d’en haut? Il s’agirait là d’un beau cadeau qu’il ferait à lui-même et à son parti qui désire retourner au pouvoir. Mais certainement pas aux Québécois, dont plusieurs auraient intérêt à accompagner M. MacKay sur les bancs d’école…