Joseph-Éric Tremblay de Saint-Alexandre-de-Kamouraska est beaucoup trop jeune pour avoir servi dans l’armée canadienne durant la Deuxième Guerre mondiale. Il a toutefois participé à deux missions militaires en Bosnie-Herzégovine dans les années 90. 25 ans plus tard, il constate que le soutien offert aux vétérans de l’armée canadienne est meilleur que par le passé. Toutefois, la place de ceux-ci au sein de la société civile demeure encore difficile à trouver.
Joseph-Éric Tremblay pourrait être dur envers l’armée canadienne, mais il n’en est rien. En fait, il refuse de juger une époque avec les connaissances d’aujourd’hui. En fait, c’est son expérience au sein des « forces », de 1990 à 2001, qui lui permet aujourd’hui de prendre le recul nécessaire afin de remettre les choses en perspective.
« Les missions des années 90, c’était la première fois depuis la guerre de Corée que des soldats canadiens étaient confrontés à des contextes aussi violents. Le Rwanda, Haïti, le Koweït, la Bosnie, la Somalie et même l’Afghanistan dans les années 2000, on n’était pas prêt à ça », résume celui qui a fait deux « tours » en Bosnie-Herzégovine en 1993 et 1995, avant de rentrer au pays, blessé.
Ce manque de préparation se traduisait, entre autres, dans la désuétude du matériel avec lequel les militaires canadiens fonctionnaient sur le terrain durant leurs missions. « On avait encore des véhicules des années 60-70 quand je suis arrivé en Bosnie la première fois. C’était complètement débile », s’exclame-t-il.
La grande capacité d’adaptation des soldats canadiens a permis, dans l’ensemble, de faire de ces missions des succès, souligne Joseph-Éric Tremblay. Malheureusement, il reconnaît que le système n’était malheureusement pas fait, au départ, pour absorber tout le flot de problèmes physiques et psychologiques qui ont découlé de ces premières missions.
« On terminait notre mission et on se retrouvait dans une tente pour un débriefing. La première question qu’on nous posait c’était : « Comment ça va? » Quand ça fait des mois que tu évolues dans un environnement basé sur l’hyper-masculinité, tu comprends bien que ce n’est pas là que tu vas te laisser aller et te mettre à brailler en disant que ça ne va pas », dit-il, sans gêne.
Chocs post-traumatiques, détresse psychologique, suicides n’étaient donc pas rares chez les militaires, au sortir de ces missions. Heureusement, l’armée canadienne a beaucoup appris de cette époque, tient-il à rappeler, et l’expérience des années 90 a permis au « système » de s’améliorer, poursuit-il.
« Je ne crois pas qu’il faille accuser le système de cette époque-là. On ne pouvait pas lui demander de prévoir des choses qu’il ne connaissait pas. C’est comme la pandémie actuelle, on ne sait rien. On en apprend toujours plus tous les jours et on s’adapte au fur et à mesure que les connaissances se développent. »
Société civile
Si l’accompagnement et le soutien psychologique se sont grandement améliorés au sein de l’armée canadienne, de l’avis de Joseph-Éric Tremblay, il y a encore place à amélioration en ce qui concerne la place qu’on accorde aux vétérans lorsqu’ils retournent à la vie « civile ». Au Québec, plus particulièrement, il estime qu’une forme d’incompréhension persiste toujours en ce qui a trait à la vie militaire.
« On prend en considération que tout le monde est dans l’infanterie, par exemple, alors que c’est environ le 1/5 des forces qui l’est réellement. Le reste, c’est des corps de métier. Et c’est ce qui fait que tu te retrouves un jour avec des questions aussi imbéciles que : « as-tu déjà tué quelqu’un ? » », déplore-t-il.
Le réapprentissage des codes sociaux de la société civile est aussi un enjeu. Cet élément peut facilement contribuer à accentuer l’isolement des vétérans lorsqu’ils quittent les Forces armées canadiennes, selon lui.
« Dans l’armée, il y a un sens du devoir commun qu’on retrouve difficilement dans la société civile. L’esprit de groupe, c’est toujours ce qui prime en premier. Tu peux prendre une bière avec un collègue en fin d’après-midi, te battre avec lui en fin de soirée, mais le lendemain, quand tu seras sur le terrain, tu peux être assuré qu’il sera là pour assurer tes arrières, pareil. Dans la société civile, c’est différent. C’est l’esprit individuel qui prend souvent le dessus. Et ce sens du devoir commun auquel on a été habitué dans l’armée, il devient difficile à retrouver », conclut-il.