Vous avez vu la corniche du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière ? En février dernier, un bloc de glace accroché à la toiture du bâtiment a glissé et l’a abîmée au passage. Heureusement, personne n’a été blessé par cet incident typiquement hivernal et le bris n’est pas tant majeur. Mais il en coûtera tout de même 15 000 $ au Collège pour la réparer.
Le directeur des services administratifs et des ressources matérielles du Collège, Martin Frenette, soulignait que de ce 15 000 $, ce n’était pas tant le matériel nécessaire à la réparation de la corniche que l’équipement nécessaire pour l’atteindre et la restaurer qui faisaient « gonfler » la facture.
L’incident rappelle néanmoins que la prestance du Collège dans le décor pocatois a un prix. Ce coût, il peut parfois atteindre jusqu’à 100 000 $ quand il s’agit de refaire la maçonnerie d’un simple coin de pierre en équerre, réparation à laquelle l’institution a procédé à cinq reprises dans les dernières années afin d’éviter que la structure du bâtiment ne soit endommagée par des infiltrations d’eau. Je vous laisse ici le soin de faire la multiplication.
Heureusement pour nous, l’administration du Collège a toujours eu le souci de vouloir conserver en état son bâtiment. Elle tenait particulièrement à ce que celui-ci soit cité monument historique, chose qui a été officialisée par la Ville de La Pocatière en 2011.
Mais que serait le Collège sans son voisin, l’Institut de technologie agroalimentaire ? Leur destin est non seulement lié, mais les qualités architecturales des deux bâtiments et leur emplacement au cœur de La Pocatière offrent un caractère distinct à ce noyau éducationnel unique au Québec. Il en est de même pour la première école d’agriculture située pas très loin et des bâtiments de la Ferme-école Lapokita sur la route 230 qui viennent en quelque sorte boucler la boucle de cet ensemble institutionnel riche en histoire qui témoigne des débuts de l’enseignement agricole au Canada.
Comme le souligne Jeanne Maguire, agente culturelle villes et villages d’art et de patrimoine à la MRC de Kamouraska, ce ne sont pas seulement les édifices magistraux comme le Collège, l’ITA, ou même l’Ancien palais de justice de Kamouraska qui renforcent le caractère patrimonial d’un milieu, mais l’ensemble de ce qui les entoure. Et chaque fois qu’on accepte de voir disparaître un de ces petits patrimoines plutôt que de le restaurer, c’est tout ce « caractère » qu’on affaiblit.
Meunerie et bergerie
À La Pocatière, le noyau institutionnel unique de la ville, représenté par le Collège, l’ITA, la première école d’agriculture et la Ferme-école Lapokita, qui devrait — en raison de sa portée historique nationale et de la qualité de préservation des bâtiments — être désignés site patrimonial par le ministère de la Culture et des Communications, risque malheureusement de voir son « caractère » s’affaiblir avec la destruction possible de la meunerie et de la bergerie de la Ferme-école.
Ces deux bâtiments, construits respectivement en 1915 (bergerie) et 1935 (meunerie), témoignent du riche passé agricole de la région et de l’importance de La Pocatière comme haut lieu d’enseignement en la matière. Les deux bâtiments non certes plus fière allure, mais ici, seuls le MAPAQ, propriétaire des lieux, et la Société québécoise des infrastructures (SQI), responsable du maintien de l’actif au nom du gouvernement, sont à blâmer. Ils ont joué ici le même jeu que plusieurs autres détenteurs de petits joyaux de ce type en les laissant se détériorer afin de justifier ensuite une demande de permis de démolition.
Les bâtiments ne répondent plus assurément à leur vocation première liée à l’enseignement agricole, mais leur conservation et leur réhabilitation à une autre fin, par exemple des pavillons du Musée québécois de l’agriculture et de l’alimentation (MQAA), n’empêchent en rien la construction — ailleurs sur le site ? — d’un bâtiment multiélevage attendu depuis longtemps par les enseignants de l’ITA et la Ferme-école Lapokita. Mais pour cela, il faut une volonté claire et affirmée du gouvernement provincial dans ce dossier, mais également de la Ville de La Pocatière.
Malheureusement, ce même gouvernement, et plus particulièrement le ministère de la Culture et des Communications (MCC), s’est fait pointer du doigt la semaine dernière par la vérificatrice générale du Québec Guylaine Leclerc qui l’accuse dans un rapport accablant d’avoir failli à ses obligations en matière de protection du patrimoine immobilier. Il s’agit du même ministère qui doit aujourd’hui accompagner le MAPAQ dans l’étude patrimoniale de la bergerie et de la meunerie de la Ferme-école Lapokita afin de juger de la pertinence ou non de les démolir. Bref, tout pour nous inspirer confiance.
Quant à la Ville de La Pocatière, le maire Sylvain Hudon a choisi il y a deux semaines de s’en remettre aux deux ministères — MAPAQ et MCC —, jugeant prémédité de se prononcer en faveur du maintien de ces deux actifs au profit du Musée. Maintenant qu’on sait que le gouvernement du Québec ne prêche pas par l’exemple en matière de préservation du patrimoine bâti, il serait préférable pour la Ville de prendre position maintenant dans ce dossier si elle espère influer sur le destin de ces deux bâtiments. Cela ferait non seulement du bien au paysage urbain d’une ville où les plus récentes constructions publiques ont fait l’objet de critiques sur le plan architectural, qu’envoyer un signal fort sur l’attachement du milieu face à une histoire distinctive dont les témoins du passé méritent d’être préservés.