L’intimidation des élus municipaux n’est pas chose nouvelle, malgré ce que plusieurs pourraient croire. Une situation vécue récemment à Saint-Philippe-de-Néri a amené Le Placoteux à questionner la Fédération québécoise des municipalités du Québec (FQM) sur ce sujet. Les médias sociaux, encore assez nouveaux dans le monde municipal, ne sont qu’une tribune de plus où le phénomène peut se déployer.
Audrey Boisjoly est mairesse de Saint-Félix-de-Valois dans Lanaudière et administratrice au sein de la FQM. En 2017, l’organisation qu’elle représente a collaboré à une étude portant sur les préoccupations des élues. Il en ressortait que l’insécurité, la discrimination et le harcèlement constituent des freins à l’engagement des femmes en politique.
« L’étude relevait que 28 % des élus, hommes et femmes, ont vécu du harcèlement dans la pratique de leur fonction. Les maires et les mairesses sont souvent plus visés que les conseillers municipaux, mais ceux-ci ne sont pas en reste. Plus un élu investit de temps dans sa fonction, plus il fait face à la critique », indique-t-elle.
La situation vécue récemment par le conseiller municipal Gaston Roy, à Saint-Philippe-de-Néri, tend à lui donner raison. Victime de commentaires irrespectueux sur les médias sociaux en lien avec une séance du conseil municipal diffusée sur le web en raison de la COVID-19, la Municipalité n’a eu d’autres choix que de prendre sa défense publiquement, énumérant au passage ses nombreuses implications bénévoles.
« Cela fait 6 ans et demi que M. Roy est au service de notre communauté. Au cours des quatre dernières années, il a fait environ 500 heures dans le parc intergénérationnel, 200 heures à la Maison de la culture, au centre municipal, etc. […] Je tiens à remercier M. Gaston Roy pour son implication dans la municipalité. Il ne demande rien, même pas un merci, mais il désire un minimum de respect », écrivait le maire Frédéric Lizotte dans une lettre partagée sur les médias sociaux.
« On est capable d’en prendre comme élu, mais un moment donné, il faut que ça arrête. On peut ne pas aimer une personne comme maire ou conseiller, mais on n’a pas à lui manquer de respect », a déclaré le maire, lorsque contacté par Le Placoteux.
Compétition politique
Selon Frédéric Lizotte, ce climat « ordinaire » perdure depuis une dizaine d’années à Saint-Philippe-de-Néri. Il l’attribue à un groupe d’individus qui a perdu ses élections et qui ne l’a « pas pris de la bonne façon ».
Même si les causes derrière l’intimidation et le harcèlement envers les élus n’ont pas été étudiées par la FQM, Audrey Boisjoly tend à confirmer cette interprétation. « De connaissance et d’expérience, là où il y a une compétition politique, les situations d’intimidation et d’harcèlement sont souvent plus fréquentes. Ça se vit même à l’intérieur des conseils municipaux, lorsque deux équipes opposées sont élues. »
Elle ajoute que certaines périodes clés de l’année, comme l’adoption du budget municipal, sont plus propices à voir se produire ce type de situation. « C’est des séances plus courues qui sont souvent fréquentées par des personnes qui ont un intérêt à se présenter à une éventuelle élection », renforçant ainsi l’esprit de rivalité et le sentiment de compétition politique, poursuit-elle.
Médias sociaux
Les médias sociaux, où se déroulent de plus en plus les divers débats publics, font aussi que le harcèlement envers les élus se poursuit souvent en dehors de la salle du conseil. La limite entre la critique constructive et l’intimidation y est également plus souvent franchie. Les conséquences sont parfois même plus larges, atteignant la famille et impactant davantage la santé mentale des élus. La démission devient souvent l’ultime solution, chose avec laquelle le conseiller Gaston Roy aurait jonglé, de l’avis de Frédéric Lizotte.
Lorsque cela survient, Audrey Boisjoly rappelle que c’est tous les citoyens d’une Municipalité qui en subit les impacts. Un retard dans le cheminement de certains dossiers peut survenir le temps que le poste de l’élu démissionnaire soit pourvu, sans parler des coûts d’élection pour la Municipalité. Davantage de formations, notamment sur la bonne gestion des médias sociaux et l’éthique et la déontologie municipale, sont des pistes de solution pour améliorer la situation, estime la mairesse de Saint-Félix-de-Valois.
« Quelqu’un qui dénigre un élu, ou qui lève le ton en séance, comme mairesse j’ai le pouvoir de l’avertir et de lui demander de quitter s’il continue. On n’a pas à accepter ça et on a le devoir de rappeler qu’il y a d’autres façons de communiquer ses idées. On doit apprendre à débattre. Mais toujours est-il que comme élu il faut bien connaître les pouvoirs dont nous disposons, si on désire les mettre en application. »