Éditorial : Le jour de la marmotte

À gauche : Claude Michaud. À droite : Louis Bégin. Photo : Maxime Paradis.

Peut-être est-ce à cause de la COVID-19 — elle a le dos large — ou peut-être parce que les acteurs qui prenaient la parole sont fatigués de toujours rejouer le même scénario, mais force est de constater que la conférence de presse tenue à l’usine Bombardier de La Pocatière mardi dernier manquait de vigueur.

Il faut dire qu’en 2017-2018, ces points de presse organisés successivement par l’entreprise elle-même, le syndicat des employés, les élus locaux ou par les équipes de l’actuel ou du précédent premier ministre se succédaient à un rythme tellement important que le minuscule accueil de l’usine de La Pocatière grouillait pratiquement autant de journalistes que les couloirs de l’Assemblée nationale. Tout dépendant les acteurs qui défilaient au micro, on s’inquiétait, on rassurait ou on faisait de grandes promesses pour l’avenir de l’usine.

Ce film, qu’on pourrait appeler « Le jour de la marmotte » en hommage au classique mettant en vedette le comique Bill Murray, rejoue en boucle depuis 2006, date à laquelle 500 personnes — peut-être même plus — avaient marché dans les rues de La Pocatière, de l’usine au stationnement qui allait devenir celui du futur Centre Bombardier (tiens donc), pour demander au gouvernement d’octroyer de gré à gré le contrat de remplacement des voitures du métro de Montréal. Il fallait à tout prix éviter le « trou noir », disait-on, celui où l’usine allait se retrouver sans contrat et qui faisait craindre la perte de cette expertise unique gravitant entre ses murs. Un air de déjà-vu, vous ne trouvez pas ?

Le politique

Cela fait 14 ans. Trois gouvernements se sont succédé à Québec et deux à Ottawa. Le comté au provincial a porté trois couleurs différentes, même chose au fédéral. Tous ont fait la valse des promesses, emmenant parfois du travail à l’usine, parfois pas, levant finalement le voile sur ce qui ressemblait la plupart du temps à de l’opportunisme politique qu’à un désir réel d’offrir un nouvel envol à cette usine qui fait la fierté d’une communauté, d’une région, mais dont on oublie rapidement l’existence une fois les caméras et les micros fermés.

Cet opportunisme politique, le premier ministre François Legault est de ceux qui en ont usé. Sachant le comté prenable, le premier ministre s’était arrêté pour rencontrer les employés à l’usine de La Pocatière en février 2018, promettant désormais de toujours demander un contenu local de 25 % pour tous les contrats publics donnés directement ou indirectement par le gouvernement québécois. C’était après l’obtention du contrat du REM par Alstom, réalisé aujourd’hui directement dans ses installations en Inde.

Cette promesse de contenu local, François Legault l’a même réitérée à Montmagny, en pleine campagne électorale, ajoutant que le REM à Montréal serait prolongé s’il était élu, faisant miroiter là de belles opportunités pour les travailleurs de l’usine de La Pocatière. Deux ans plus tard, force est de constater que le premier ministre n’a toujours pas avancé sur ce front, ou du moins, il hésite toujours à saisir les occasions qui lui permettraient de passer de la parole aux actes.

Le tramway de Québec en est un bon exemple. Alors que le projet ne jouit pas de l’appui populaire dans la vieille capitale, le gouvernement Legault attend désormais les conclusions d’un rapport du BAPE avant d’y donner son aval. Disons-le aussi honnêtement, le premier ministre a plus à perdre électoralement dans la région de Québec que sur la Côte-du-Sud, comté représenté par une ministre et députée critiquée par ses électeurs et ses pairs, qui ne pèse visiblement pas lourd au sein du gouvernement Legault.

L’entreprise

À travers tout ce manège politique, il y a aussi l’entreprise, Bombardier Transport, dont les ambitions pour l’usine de La Pocatière semblaient dégonfler au fur et à mesure qu’elle accumulait les revers aux différents appels d’offres sur lesquels elle soumissionnait. Rappelez-vous Alain Bellemare qui, en visite à l’usine de La Pocatière en décembre 2018 pour « rassurer » les travailleurs, ambitionnait de transformer les installations en un « centre d’expertise » de Bombardier Transport. Autrement dit, à défaut d’être le « showroom » d’où sortent les voitures les plus convoitées de la marque, La Pocatière serait la section pièces et services d’un concessionnaire automobile, responsable d’entretenir, de réparer et d’honorer les garanties sur les véhicules.

Quelle belle marque de reconnaissance pour l’usine dont on n’a jamais cessé de vanter l’expertise et qui a été le point de départ de ce qu’est devenue la multinationale aujourd’hui acquise par Alstom, cette dernière même qui s’était opposée au gré au gré pour le contrat des voitures Azur et qui a fini par avoir sa part du gâteau avec Bombardier en consortium. Alstom, celle-là même qui sera bientôt propriétaire de l’usine de La Pocatière dans la première moitié de 2021, dont on attend toujours les plans d’avenir qui pourrait permettre aux travailleurs de cesser de faire les frais des lois du marché de notre époque, faute d’être à l’embauche d’une entreprise suffisamment concurrentielle, ou simplement victime d’un excès ou d’une absence de protectionnisme économique chez nos voisins du sud ou de ce côté-ci de la frontière.

Ce plan d’avenir ou cette vision pourrait être, par exemple, quelque chose comme la création d’une filière ferroviaire gravitant autour de l’usine de La Pocatière, dédiée entièrement à la recherche et au développement, et qui aurait pour objectif de créer le train du futur dans notre région. Idée de génie ? Il s’agit en fait d’une suggestion émise par le Fonds d’investissements Côte-du-Sud (FICS) afin que l’expertise et le caractère innovant de l’usine Bombardier de La Pocatière continuent d’alimenter la grappe industrielle de haute technologie déjà bien développée dans notre région. Une rencontre entre le FICS, la députée de Côte-du-Sud et ministre déléguée au Développement économique régional Marie-Eve Proulx et le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon a même eu lieu à ce propos en décembre dernier, indiquait récemment le vice-président du Fonds Yves Lebel.

Il est toujours permis de rêver, direz-vous ? Avec un minimum de volonté de nos gouvernements et de l’entreprise, et la fin d’une gestion à courte vue, oui, c’est possible. Et les employés de l’usine Bombardier de La Pocatière et le milieu, eux, ils sont prêts à passer à cette prochaine étape. Mais en attendant, ne nous surprenons pas si un certain essoufflement se fait sentir de leur part à marteler toujours le même message. Bill Murray ne l’était-il pas, lui aussi ?