Longtemps attendue en public, souvent promise en coulisse, l’autonomie aujourd’hui offerte à l’ITA par sa constitution en l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ) est difficilement refusable. Depuis 10 ans, le « vaisseau amiral » de l’enseignement agricole au Québec, comme l’a appelé le ministre de l’Agriculture André Lamontagne, montrait des signes évidents d’essoufflement. Du moins, à La Pocatière…
Il y a d’abord eu un temps la baisse des inscriptions qui a semé l’inquiétude. Ensuite les directions générales par intérim qui se sont succédé au même rythme que s’enchaînaient les années scolaires.
Le sous-financement de la Ferme-école Lapokita, lieu d’apprentissage pratique des étudiants de l’Institut, est aussi devenu difficile à camoufler lorsqu’elle s’est retrouvée avec une amende de 10 000 $ du ministère de l’Environnement pour l’écoulement d’eaux contaminées du parc de bovins de boucherie vers un ruisseau affluent de la rivière Saint-Jean.
Et enfin le désarroi de membres du personnel actuel et passé, toujours de plus en plus unanime à déplorer à micro fermé — par peur de représailles ? — des communications internes déficientes et un manque de vision de l’Institut, en matière d’enseignement notamment, problématiques souvent attribuées au carcan ministériel étouffant du MAPAQ dont cette maison d’enseignement collégial était partie intégrante de son organigramme de fonctionnement.
Avec le dépôt du projet de loi 77 du ministre Lamontagne, tout porte à croire que la grande noirceur des dernières années est révolue et qu’une forme de révolution tranquille attend l’ITA et ses campus de La Pocatière et de Saint-Hyacinthe. Par la constitution de l’ITAQ, le ministre propose de donner à cette nouvelle institution les moyens de ses ambitions, à même titre que les autres cégeps du Québec, même si celle-ci continuera de relever du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ).
Il sera désormais possible pour elle d’offrir de nouveaux programmes, dont de la formation universitaire, de contracter des emprunts pour financer de nouvelles infrastructures, d’avoir accès à des subventions de recherches et même de mettre sur pieds des Centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT), comme le Cégep de La Pocatière.
Il y a de quoi pavoiser ! Après 160 ans d’enseignement agricole, l’adolescence de l’ITA avait assez duré.
Conseil d’administration
Là où le bât blesse, c’est dans la constitution du conseil d’administration de la future ITAQ. Des 15 membres qui doivent le former, rien n’est prévu dans le projet de loi quant à la représentativité locale des deux campus qui la composeront.
Cet élément est d’autant plus important qu’en constituant l’ITAQ sous le même modèle que l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), le gouvernement affirme clairement son positionnement contre la création de deux écoles nationales avec les campus de La Pocatière et de Saint-Hyacinthe, écoles qui auraient été regroupées avec leurs cégeps de proximité.
Cette proposition suggérée en 2016 par le Cégep de La Pocatière et calquée sur le modèle de l’Institut maritime du Québec à Rimouski promettait pourtant de belles économies administratives et essentiellement la même agilité et la même souplesse que la constitution de l’ITAQ propose aujourd’hui. Elle était toutefois loin de faire l’unanimité, entre autres auprès du milieu agricole qui semblait craindre la perte de « son école » au profit du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, en la faisant quitter le giron du MAPAQ.
Cette solution aurait cependant assuré une représentativité locale par le biais du conseil d’administration du Cégep de La Pocatière. Rien n’est moins sûr aujourd’hui avec le projet de loi 77.
Même si on comprend qu’il ne sera pas dans l’intérêt du conseil d’administration d’affaiblir un de ses campus, l’absence de règles quant à l’origine géographique des administrateurs indépendants fait craindre une forte représentativité de ceux-ci en provenance de Saint-Hyacinthe, dans la circonscription voisine de celle du ministre Lamontagne lui-même, où, avouons-le, les gros joueurs de l’industrie agroalimentaire qui pourraient être recommandés par ce dernier à siéger sur le conseil d’administration y sont fortement établis.
Ces administrateurs, seront-ils tentés de consolider le pôle d’enseignement agricole de ce côté, au détriment de La Pocatière, en usant des nouvelles possibilités que leur offrira le projet de loi ? La crainte est légitime : La Pocatière et le Kamouraska ont souvent joué au jeu des regroupements ces dernières années, et rarement ils en sont ressortis gagnants, ceux-ci étant souvent la prémisse d’une nouvelle centralisation.
Cette crainte ne devrait toutefois pas justifier à elle seule un rejet du projet de loi 77. Ce qu’il offrira à l’ITA est clairement ce dont elle avait besoin pour assurer son avenir, et ça, depuis longtemps. Et avant que l’ITAQ ne devienne réalité, l’étape de la commission parlementaire donnera le temps aux intervenants régionaux de faire valoir l’importance de cette représentativité locale sur le futur conseil d’administration. S’ils n’en sont toujours pas convaincus, ils n’auront qu’à se rappeler la création des CISSS en 2015. L’expérience devrait être encore suffisamment fraîche pour les mobiliser !