Vous connaissez la maudite ligne, celle qui est aussi droite que la tige qu’on nous met dans le nez par les temps qui courent ? La maudite ligne, elle est tout aussi désagréable, sauf qu’on ne la voit pas. À moins de regarder une carte…
La maudite ligne, c’est celle qui sépare le Bas-Saint-Laurent de Chaudière-Appalaches, deux régions dont la composition ne réfère à rien d’historique, sinon qu’à un simple besoin administratif. La maudite ligne est celle qui a une certaine époque faisait les choux gras des compagnies de téléphone, vous savez, cette période préhistorique pourtant pas si lointaine où faire un appel de La Pocatière à Saint-Jean-Port-Joli était un interurbain, mais pas de La Pocatière à Rivière-du-Loup ?
Aujourd’hui, c’est la COVID-19 qui vient nous rappeler l’insignifiance de la maudite ligne. Celle qui permettra d’un bord d’aller marcher à 20 h 45 dès le 8 février, et de l’autre de se demander à la même heure s’il n’est pas mieux d’aller se coucher plus tôt, faute d’options, au lieu de se taper encore une heure de Netflix sur le sofa à manger nos chips achetées avant 19 h 30 au dépanneur du coin.
Un peu comme Riccardo Trogi dans 1987, on peut imaginer que c’est une bande de fonctionnaires déconnectés qui ont décidé, après probablement trop de réflexions et de protocoles, de tracer la maudite ligne où elle se trouve aujourd’hui, sans trop valider sur le terrain si ça se tenait. Le café était-il mauvais ce matin-là ? La tentation de tirer un trait avec une nouvelle règle achetée à la papeterie du coin était-elle trop forte ? Allez savoir !
En fait, l’histoire dit plutôt que c’est le gouvernement de Jean Lesage qui a donné le statut juridique à ce qui allait devenir nos régions administratives. Les lignes ont ensuite été réajustées en 1981 avec la création des MRC, sous le gouvernement de René Lévesque.
Selon un sage qui travaillait d’ailleurs pour ce gouvernement, à l’époque, et qui coule aujourd’hui des jours tranquilles pas trop loin de la maudite ligne, on aurait en quelque sorte « manqué » notre coup avec le découpage des MRC actuelles. Au lieu d’y aller avec une logique géographique, par territoire historique, par zone économique naturelle et de circulation des gens, ou même par bassin versant, notre région — Kamouraska-L’Islet — se serait trop laissé guider par l’émotivité des « vieilles rivalités » de clocher dans la suggestion du découpage à adopter. Au final, les tracés des anciens comtés sont essentiellement restés et nous en subissons encore aujourd’hui les conséquences.
On peut néanmoins le défendre, ne serait-ce en disant qu’il est facile de juger ce qui a été fait dans le passé avec les informations que nous disposons aujourd’hui. Mais sachant tous les problèmes que la maudite ligne nous occasionne depuis quelques années, permettons-nous tout de même un sympathique défoulement collectif envers ses « pères fondateurs » et ceux qui ont contribué à la « cristalliser » par la suite. Ça nous changera de nous défouler contre les COVIDIOTS !
Parce que la réalité demeure. S’ils avaient su qu’on s’approchait dans le temps de la pire pandémie en 100 ans, les créateurs de la maudite ligne ne l’auraient sûrement jamais tracé où elle se trouve actuellement.
Peut-être se seraient-ils même laissé tenter à constituer en région administrative l’historique territoire de la Côte-du-Sud — Bellechasse, Montmagny, L’Islet, Kamouraska — s’ils avaient été avisés qu’un ministre de la Santé mégalomane allait réorganiser les soins de santé par région administrative, marginalisant l’hôpital de La Pocatière à l’extrémité ouest d’un territoire avec Rimouski comme nouveau corridor de service naturel pour une panoplie de soins spécialisés… à deux heures de route de là !
Et si on leur avait exposé certains désavantages économiques que pourraient causés à L’Islet des crédits d’impôt à l’investissement plus avantageux aux entreprises s’établissant au Kamouraska, pas sûr non plus qu’on se serait battu pour tracer la maudite ligne en bordure de la route Jeffrey à Sainte-Anne-de-la-Pocatière.
Les ardents défenseurs de la maudite ligne et ceux qui en habitent loin se plairont toujours à dire qu’il faut bien la définir quelque part et qu’elle finira toujours par désavantager quelqu’un. Peut-être, mais c’est aussi mal connaître la réalité de ceux qui habitent en périphérie de la maudite ligne qui, chaque fois qu’un 2 février se présente, se voient rappeler son absurdité et toute l’injustice qu’elle occasionne au quotidien.
Parce que la maudite ligne n’est rien d’autre qu’une frontière dessinée de façon arbitraire sur une table à dessin, réalité que la COVID-19 n’a fait que nous rappeler depuis près d’un an. Elle dicte que le voisin qui nous ressemble le plus et avec qui on a tout en commun ne peut être dans le même gang que nous. Cette ligne invisible nie notre réalité territoriale et contribue à noyer notre existence à l’échelle du Québec. Elle n’a pas sa place où elle se trouve. Il faudra bien regarder un jour à la déplacer, là où il serait plus logique qu’elle soit, c’est-à-dire loin d’où elle cherche constamment à nous séparer.