Roméo Bouchard est peut-être bien confiné chez lui à Saint-Germain-de-Kamouraska, mais il ne peut s’empêcher d’être fasciné par tout ce qui se déroule sous ses yeux. Celui qui s’est battu toute sa vie pour le retour à une agriculture de proximité, réalisée par des fermes familiales à échelle humaine, avoue être très heureux aujourd’hui de la prise de conscience que semble faire le gouvernement Legault en pleine crise de la COVID-19.
L’autonomie alimentaire. Ceux qui la prônaient avant l’apparition du coronavirus avaient l’air d’une bande d’hurluberlus aux yeux du commun des mortels. Alors que le monde prend plus que jamais conscience de son interdépendance, fruit d’une mondialisation qui a encouragé la délocalisation des entreprises dans la plupart des pays occidentaux, ne serait-ce que par la problématique de l’approvisionnement en matériel médical, la disponibilité future des denrées alimentaires commence elle aussi à préoccuper.
Pour Roméo Bouchard, le fait que le gouvernement Legault dise lui-même qu’il faudra se tourner vers plus d’autosuffisance sur le plan alimentaire est assez éloquent. Cette prise de conscience provoquée par la crise de la COVID-19 est annonciatrice d’un virage que prendra l’agriculture québécoise ces prochaines années.
« On va revenir à cette agriculture de proximité qui existait avant. Ce qui circule comme chiffre, c’est que l’autosuffisance du Québec sur le plan alimentaire serait autour de 30 %, alors que dans les années 80, c’était environ 80 %. Ce que la crise nous fait réaliser, c’est que ce n’est pas seulement les grandes entreprises qu’on a délocalisées, mais aussi l’agriculture. Partout sur la planète, chaque pays s’hyperspécialise dans un type de produit, ce qui amène cette libre circulation démentielle des denrées. C’est illogique sur le plan de l’autosuffisance alimentaire, mais aussi de l’environnement. Maintenant, qu’arrivera-t-il si on en vient à fermer les frontières aux denrées? », questionne-t-il.
Cofondateur de l’Union paysanne au début des années 2000, Roméo Bouchard et l’association qu’il a contribué à créer portent depuis l’étiquette des contestataires du monopole syndicaliste exercé par l’Union des producteurs agricoles au Québec. Au-delà de la contestation, il tient plutôt à rappeler que l’Union paysanne se veut avant tout une organisation qui cherche à faire place à une agriculture plus humaine, plus locale, plus diversifiée, liée au territoire et à sa communauté. Plus que jamais, ce leitmotiv devra être pris en considération par le gouvernement Legault s’il désire que le Québec retrouve le chemin de l’autosuffisance alimentaire, croit-il.
« Pour y arriver, il va falloir qu’on soit plus flexible et qu’on change certaines lois, comme les quotas. On ne devrait pas soumettre tout ce qui est de proximité à des quotas. Il va falloir revoir les modes de financement aussi. Actuellement, le soutien financier dans le milieu agricole est très défavorable à ceux qui font de la « petite » agriculture », ajoute-t-il.
Mais même si la volonté semble être au rendez-vous à la lumière des prises de position entendues dans la dernière semaine par le gouvernement, Roméo Bouchard croit que « ce retour en arrière » ne sera pas chose facile et que tout ne se réalisera pas du jour au lendemain. Il rappelle que la problématique de la grande majorité des fermes, aujourd’hui, est leur hyperspécialisation dans un secteur de production bien précis.
« Les champs de maïs qu’on voit à perte de vue quand on approche de Montréal, ce n’est pas pour nourrir du monde, mais des cochons qu’on exporte dans une proportion de 70 %, rappelle-t-il. Reconvertir ces terres-là en production nourricière pour le Québec, c’est une méchante job qui nous attend. Mais c’est aussi une opportunité à saisir pour nous sortir de l’agriculture chimique et revenir à une agriculture plus respectueuse des écosystèmes », conclut-il.