Le mot démondialisation se fait de plus en plus entendre dans les médias plus la crise de la COVID-19 se poursuit. L’enseignant en histoire et en politique au Cégep de La Pocatière, Éric Ouellet, est d’avis que ce mouvement risque de prendre de l’ampleur au sortir de la pandémie actuelle. Il croit également qu’une décentralisation à même les États est à prévoir.
La difficulté que rencontrent actuellement les différents pays à s’approvisionner en matériel médical expose la vulnérabilité de ceux-ci et l’interdépendance des différentes économies du monde, ajoute l’enseignant. La délocalisation des entreprises vécue dans les dernières décennies, phénomène associé à la mondialisation afin de diminuer les coûts de production de celles-ci, se retrouve donc aujourd’hui au banc des accusés pour expliquer ces difficultés en approvisionnement.
« C’était déjà mal vu de voir une entreprise fermer au Canada pour s’installer au Mexique où produire coûte moins cher. Ça sera encore pire au sortir de la crise, car les gens constatent aujourd’hui les conséquences de cette dépendance aux autres », explique Éric Ouellet.
Signes de cette démondialisation actuellement en branle : le gouvernement Trudeau signait cette semaine des contrats d’approvisionnement avec trois entreprises canadiennes afin qu’elles poursuivent leurs efforts de production en matériel médical et des lettres d’entente avec cinq autres dans le but qu’elles réorientent leur production pour alimenter le marché canadien. Le jour même, c’était au tour du président français Emmanuel Macron de souhaiter l’indépendance de la France dans la production du matériel médical stratégique.
Ces actions, même si elles surviennent en temps de crise, sont parlantes pour Éric Ouellet, car ces deux gouvernements sont souvent qualifiés de « mondialistes » par plusieurs. Il y voit donc les premiers pas d’un retour en force de l’achat « local » à prévoir ces prochaines années. Il rappelle même qu’au Québec, le gouvernement Legault reprend le terme à pratiquement toutes les sauces lors de ses points de presse quotidiens. Et à terme, il conçoit même que tous les secteurs d’activité devraient être touchés, et pas seulement ceux qu’il qualifie de « névralgique ».
« Le phénomène ne se vivra pas seulement à l’échelle des gouvernements, on va y assister aussi dans les grandes villes et les régions », prédit-il.
Le phénomène pourrait même aller jusqu’à la décentralisation des services à l’intérieur même des États. La centralisation vers les grands centres, au détriment des régions, vient faire ressortir aujourd’hui leurs vulnérabilités dans un contexte de pandémie. Il cite en exemple les régions éloignées du Québec aujourd’hui « fermées » aux non-résidents par un décret de la santé publique. Lorsque la mesure a été mise en place il y a une semaine, l’objectif était d’une part de protéger les populations de ces régions jugées plus vulnérables en raison d’une moyenne d’âge souvent plus élevée, mais également parce qu’elles ne disposent pas toujours de tous les services ou spécialistes en mesure de répondre rapidement à une explosion de cas de COVID-19.
« Le cas de l’hôpital de La Pocatière est bon exemple. Ça fait des années qu’on dénonce une centralisation de l’offre de services vers Rimouski et Rivière-du-Loup et les difficultés que le milieu rencontre à attirer des spécialistes en mesure d’administrer des soins particuliers à cause de cela », rappellent-ils.
États-nations vs mondialisation
Mais ce que certains qualifieront peut-être de ce retour à l’État-nation comme étant une forme de « repli », en opposition à la mondialisation et sa vision ouverte des frontières, n’a rien de nouveau, selon Éric Ouellet. Entre les deux philosophies, le monde balance depuis très longtemps, pour le meilleur et pour le pire – car les deux concepts ont leurs avantages et leurs inconvénients, précise-t-il – mais avec une résilience particulièrement forte de la vision d’État-nation, et cela, malgré le fait que plusieurs signent son arrêt de mort depuis longtemps au profit de la mondialisation.
« Revenir à l’échelle des États, n’a rien de nouveau et c’était déjà en branle depuis quelques années. Le Brexit au Royaume-Uni était une réponse à la mondialisation incarnée par la zone de libre circulation de l’Union européenne. L’élection de Donald Trump aux États-Unis en 2016, avec son slogan « Make America Great Again », était aussi une affirmation de l’État-nation face à la mondialisation. Où les choses risquent de changer après la COVID-19, c’est que le concept d’État-nation ne sera plus seulement utilisé par les partis qualifiés actuellement de « populistes », donc de droite, et risque de reprendre du service au sein d’autres formations situées plus à gauche du spectre politique », conclut-il.